Le Souffle Portal – Franck Médioni

Franck Médioni est journaliste, écrivain, producteur. On lui doit des livres d’entretiens, des biographies, la direction de livres collectifs…
Encore ici il n’invente rien, il révèle ; il ne commente pas la musique, il l’épouse ; il n’encombre pas mais laisse la place, au point de ne pas citer les questions pour ne garder que les réponses ; il dit ce que Portal joue, et aussi ce qu’il tait.
José Artur a appelé Michel « Le comanche du saxophone qui n’a jamais voulu marcher en file indienne « , Michel s’en souvient, il ne joue pas, il vit la musique. Il rencontre, il s’amuse, il s’étonne, il cherche, surtout il doute, ses propos sont perpétuellement ( quasiment une fois par page) ponctués de « Je ne sais pas ». Il est « intranquille » dit Guy le Querrec.
Picasso : »Je ne cherche pas, je trouve ! », Michel portal : « Je ne trouve pas, je ne fais que chercher ! ».
Musique chercheuse, qui ‘turbule’, qui bouleverse. Il a ébranlé la maison jazz, comme les beboppers qui se sont révoltés dans les ‘40 en renversant les fondamentaux, lui, pionnier d’un free jazz européen, a aidé à s’affranchir du modèle noir américain pour inventer sa propre musique depuis le fameux concert de Châteaucallon (23 aôut 1972).
Acteur de l’instant, il a eut longtemps peur de ce livre, peur de la stèle, du caveau, du cénotaphe, peur de l’immobilisme. Au final, ce beau bouquin ( papier épais, lecture confortable) s’impose comme une mémoire vive où il se souvient, raconte, s’interroge : il parle comme il joue, c’est spontané, rieur, indocile, espiègle, vif… Libre !
Bayonne, le 27 novembre 1935, ce fils d’émigrés espagnols ne fait rien qu’à s’ennuyer, ne parle pas, timide, solitaire… la musique est venue le guérir par sa joie de la vie. À huit ans, le déclic. Dans l’harmonie du village, on lui a dit, comme il ne savait quel instrument choisir : « Si tu veux jouer un solo, choisis la clarinette. », dont acte ! Il s’essaye cependant aux autres binious, à tous, mais la clarinette, ça va dans la rue, c’est intimiste, fragile, ça lui ressemble. Puis le sax alto, et la clarinette basse (après la découverte de Eric Dolphy).
Musique classique à la maison, les bals, le fandango dans la rue où il reprend vie, et puis le choc : ‘Lover Man’ par Charlie Parker. Dans ses oreilles, il mélange Ravel et Stan Getz, Mozart et Duke, tout le nourrit, sans différence ni hiérarchie.
À 12 ans il joue ‘Quintette pour clarinette’ et le ‘Quatuor à cordes’ de Mozart. Un argentin ami de la famille lui apprend le bandonéon « Le bando, c’est le bonheur et le malheur ensemble, lyrisme total, comme un opéra de Puccini.
En 1953, hop, à Paris, l’aventure continue, les bals… et puis le conservatoire. Malgré l’interdiction tacite des profs, il est hors de question de se couper du jazz. L’été : orchestre amateur de jazz, de danse, tous styles… de jazz. Nouveau modèle : Benny Goodman, qui côtoyait Bela Bartok et Stravinsky.
Parker, le jazz, le blues, bien que passionné, il sent bien que ce n’est pas sa culture, alors va falloir qu’il fasse Son truc !
En 1963, il enregistre avec Jef Gilson, puis avec Pierre Michelot. Faudra attendre le grand vent de liberté de Mai 68 pour aller voir ailleurs, quand les interdits voleront en éclat.
En classique, il faut être fidèle à l’écriture, rester simple pour ne pas la perturber, mais on se répète, les impros sont parties congrues, et faut se renouveler, chercher, chez les autres, en soi-même. Reliquat des années bals, danses : le rythme est essentiel, fin ‘80 il bosse avec Carolyn Carlson.
Cette diversité qui s’impose à lui, on lui reproche : « qui trop embrasse mal étreint, ces différentes pratiques sont incompatibles… ». Pourtant…
Même s’il ne peut s’en passer, la doxa du monde classique l’emmerde, pas question de proposer une symphonie si elle n’est pas écrite, lui préfère déchirer. Plus que les partoches, ou la virtuosité (même si…), c’est le son qui l’intéresse. Chan Parker lui confie : « Les becs, les instruments différents, les anches, il s’en foutait complètement, il jouait toujours du Charlie parker. ». Du coup, le son, il veut le malaxer, le triturer, son sax, il veut l’entendre hurler, crier, geindre.
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Michel portal… écoutez le encore nous parler de son attachement pour un autre inévitable, le chercheur permanent, John Coltrane. Et son admiration de celui qui trouvait dans l’air du temps, avant qu’il ne soit temps, le son, Miles Davis. Parler du swing, qui est partout, chez Mozart aussi…, de la couleur, l’oreille, la confiance donnée aux musiciens avec lesquels il partage l’espace de jeu.
Malgré que les disques « c’est pas mon truc », il raconte ses premiers, sous son nom : ‘Dejarme solo’, ‘turbulence’, et puis ‘Mineapois’, ‘Baïlador’.
L’impact Ornette Coleman, Albert Ayler, Archie Shepp, l’Art Ensemble, Don Cherry, les compagnons de ‘65 qui (se) prépare à ‘68, cri de liberté. Le Unit en ‘72, sensation de donner…
L’impro, l’écoute, être ensemble. Il faut s’aimer, beaucoup ! Faire famille… comme aimait s’entourer Mozart, qui l’a influencé, plus que le jazz.
Les rencontres importantes, sans égo. Comme avec Barbara, Nougaro, Gainsbourg…
Les musiques de film, ‘Paris Blues’ avec le ‘Duke’ ; Nagisa Oshima, Alain Jessua…
La musique contemporaine, Xenakis, Boulez…
Les duo avec, et avant tout : Bernard Lubat (qui le traite de ‘Fou Artistique’, puis Louis Sclavis, Martial Solal, Max Roach et tant d’autres rencontres, amitiés…
Un désordre qui ne le quitte pas, l’angoisse sauvage, résolus par l’impro, dans la joyeuse Anarchie de l’instant qui s’invente, où sont dissous les doutes.
Michel ‘Je n’sais pas, je n’sais pas, je n’sais pas’… Nous on sait : T’es l’meilleur Michel, on t’aime !
Par Alain Flèche
Frémeaux & associés