Arbenz vs Arbenz meets Ron Carter « The Alpine Session »

Le sommet jazzistique des Alpes suisses rencontre l’Himalaya de la contrebasse américaine.
Pépite 6 étoiles
Michaël Arbenz : Piano, compositions
Ron Carter : Contrebasse
Florian Arbenz : Batterie, compositions
Belle histoire que celle des jumeaux suisses Michaël et Florian Arbenz : ces cinquantenaires sont nés dans une famille de musiciens, ils ont été biberonnés au jazz notamment avec Ron Carter sur les enregistrements de Miles Davis. Ils Jouent tous les deux ensembles depuis toujours ainsi qu’avec d’autres formations. Michaël et Florian ont déjà collaboré avec quelques autres de leurs idoles comme les saxophonistes Dave Liebman, Greg Osby, ou le pianiste Kirk Lightsey ce qui leur a permis d’enrichir leur jeu tout en conservant leur identité propre.
Lors de l’été 2024, Ron Carter est en tournée en Suisse pour plusieurs concerts quand un ami lui parle de ces 2 frères à la recherche d’un contrebassiste, la rencontre se fait et nait « The Alpine Session », un tournant majeur dans la carrière des jumeaux Arbenz !
En parlant de carrière, revenons sur celle de ce géant (dans tous les sens du terme) qu’est Ron Carter. A son propos, on ne mentionne pas les collaborations innombrables mais les enregistrements : il est le bassiste ayant à son actif le plus grand nombre d’enregistrements jazz (pas moins de 200). Outre les 14 albums faits avec Miles Davis quand il faisait partie de son second quintet de 1963 à 1968 (avec Wayne Shorter au saxo, Herbie Hancock au piano, Tony Williams à la batterie), il a enregistré des pépites avec Herbie, Wayne, Stan Getz, Gil Evans, Eric Dolphy, Freddy Hubbard ou Joe Henderson entre autres. Avec tous ces compositeurs très différents, il a su adapter son jeu instinctivement développant une palette inouïe de possibilités et un son unique !
Les frères Arbenz ont eu la chance et l’honneur de pouvoir jouer et enregistrer avec cette icone infatigable au jeu exceptionnel, ils sont tellement à la hauteur que ce disque sera un incontournable de 2025 et surement de la décennie 2020 !
Il est composé de 6 morceaux : 3 de Florian Arbenz, 1 de Michaël, 1 standard de Duke Ellington très revisité par Michaël et 1 de Jérome Kern. Donc exceptionnellement pas de morceaux préférés mais quelques mots sur chacun des 6 !
« I don’t mean a thing » de Duke Ellington et Michaël Arbenz : Quelle réinterprétation créative à 100 lieues de l’original dont on capte quelques bribes autour desquelles les 3 musiciens brodent une éblouissante dentelle faite d’un jeu commun pétillant et d’improvisations osées. Dès le premier morceau nous sommes scotchés par tant d’audace : les jumeaux s’éclatent emportés par la fougue et le génie de Ron Carter (qui nous offre un superbe solo) !
« Alive » de Florian Arbenz : Changement radical de tempo : lent, ample, les percussions remarquablement dosées de Florian et le jeu plein de quiétude et rondeur de Ron portent le piano de Michaël aux phrases recherchées et poétiques.
« Evolution » de Florian : Nous repartons sur un tempo soutenu sur lequel Michaël surfe puis insuffle des changements de rythme, Ron et Florian s’immiscent avec brio dans les espaces donnant un relief inouï. Les solos, sprints inventifs et temps d’osmose collective fleurissent allègrement ! Quelle cohésion !
« Lullaby » de Michaël : Cette berceuse ne nous endormira pas, l’attention est happée par le dialogue de Florian et Ron (toujours plus innovant !) et le toucher tendre de Michaël.
« All the things You Are » de Jérome Kern : Là, votre oreille rodée aux reprises en jazz vous dit que ce standard de 1939 ne peut plus vous étonner ! Quelques phrases nous sont effectivement familières car c’est une des premières compositions qui laissait la place à l’improvisation donc beaucoup de musiciens s’en sont emparés (dont Keith Jarret !) mais quand ces trois-là s’en mêlent, avec leur swing à eux cela dépasse ce que vous connaissez ! Michel enjolive hardiment la mélodie tantôt déliée, tantôt plus martelée, Florian ouvre le champ des possibles sur sa batterie, aiguillonné par un Ron pétillant ! Impossible de déceler qu’ils ne jouent pas ensemble depuis longtemps !
« Old Shaman » de Florian : Une histoire pleine de rebondissements rythmiques sidérants où chacun propose et les 2 autres réagissent immédiatement, avec des improvisations « bluffantes » comme en conditions de Live, allant de vives envolées à des moments de recherche zen ou d’essai de sonorités nouvelles vers un final en apothéose !
Bref : du grand art à écouter de toute urgence et à avoir absolument dans sa discothèque…Aurons-nous la joie et le privilège de les voir/écouter en concert ?????
Label Hammer-Recordings sortie le 21 février 2025
Chronique de Martine Omiécinski le 05 Mars 2025
https://florianarbenz.bandcamp.com/album/the-alpine-session