Steve Coleman & Five Elements au Rocher de Palmer – Le 10 octobre 2024

Steve Coleman, saxophone alto
Jonathan Finlayson, trompette
Rich Brown, basse
Sean Rickman, batterie

L’entrée en matière passe par un conciliabule très épuré entre le sax et la trompette pour pénétrer davantage dans les sons, quelques notes frémissantes et la rythmique tout naturellement pourrait-on dire. La guitare prend le relais quand la batterie bat tranquillement le tempo. On bouge imperceptiblement la tête, mais c’est là, les arpèges de Steve Coleman semble vouloir nous faire entrer dans un plaidoyer pour le jazz, guitare basse et batterie nous enfonçant dans le groove… Alors, trompette et sax creusent, scrutent le chorus, pulsion du côté des cordes de Rich Brown et de la caisse claire de Sean Rickman comme si la musique était un vortex, trompette et sax à la recherche du moindre, d’une harmonie sobre, du frémissement du jazz et pourtant déjà de sa structure, de sa construction. Ils finissent en pointillé pour s’éloigner, laissant la respiration -tout de même haletante- du jazz se faire… Retour au rythme et aux notes répétitives, seule la trompette chatouille le morceau. A-t-elle excité la batterie qui se lance soudain dans une frénésie fluide. Steve Coleman laisse librement libre cours à sa fantaisie. On est constamment dans le pulsionnel à l’intérieur même du jazz. Malgré un tempo maintenant vif, ils jouent tous quatre sur la pointe des notes, comme des esquisses dont le trait sûr donne l’essentiel de ce qu’il y a à exprimer. Les changements de tempo sont remarquables, précis et délicats. Le train s’enfonce dans la musique à vitesse d’enfer, et votre cœur n’a que le choix de suivre en réalité absolument consentant. C’est un encéphalogramme vivant d’émotion intense.

Steve Coleman commence par un chorus volubile où la mélodie semble s’élaborer par surenchère, notes désirant se surprendre elles-mêmes pour s’approcher davantage d’une expression fureteuse, désireuse d’une arabesque plus large, plus douce. La trompette de Jonathan Finlayson s’en dégage pour accompagner Steve Coleman mais aussi s’élever majestueuse… Les ruptures de sons appellent soudain une batterie devenue spartiate, support à la trompette ponctueuse, encore un tracé à petites touches. On pense à une sauce dont les ingrédients patiemment choisis prennent corps et composent son onctuosité. La basse de Rich Brown est un compteur intarissable garant de la vélocité de la batterie lumineuse de Sean Rickman. Le batteur ne tape pas si fort alors que se dégage de sa batterie la précision millimétrée de tempos. C’est en fait une musique extrêmement stylisée et grouillante à la fois.

Le son du sax frôle les parois de l’instrument « boisé », et lui alternent des accents presque tendres, parfois délicatement doublés par la basse complice pour s’échapper ensuite. La trompette tonitruante de Jonathan Finlayson au contraire s’affirme ainsi. Le swing se balance… occasion pour Steve Coleman d’entraîner son sax dans les volutes bleues. Quand Steve libère son sax, il revient régulièrement à sa décomposition, défaire pour repartir, pour trouver une autre voie de liberté…

Par instants, le quartet installe une transe, nous la rappelle, pour maintenir une musique hypnotique, basse obsédante, gardienne des échappées des deux cuivres. Le saxophoniste s’enroule même autour, liane infinie, aux racines investigatrices. Les passages en boucle ensorcellent nos oreilles.

Steve Coleman aime les commencements à sons ânonnés, juste, semble-t-il, pour appeler la batterie désirante ; celle-ci propose des tempos invraisemblables, la basse maintient l’édifice, sax et trompette peuvent converser, se rassembler, imposer leurs différences, tour à tour seules, pulsions ou logorrhées, l’intention étant que la musique soit rythme.

Peut-être que vous êtes dans un bain de bulles bouillantes. Le mieux, c’est de se laisser porter. Buvez même la tasse. Il faut être à l’intérieur. C’est fait pour ça. A l’intérieur, ça danse, ça fourmille, ça s’agite et ça concentre aussi.

Et quand Steve et la trompette de Jonathan chantent, ce sont des scats atténués, comme un bavardage à peine slamé, un nouvel instrument en quelque sorte.

Par Anne Maurellet, photos David Bert

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