Ça qui est merveilleux

Par Dom Imonk

[COUP DE CŒUR] Des rêves étoilés de l’enfance aux univers tourmentés des adultes, le merveilleux est la clé magique qui ouvre à l’oiseau humain les fenêtres de la curiosité. Dominique Fonfrède (voix) et Françoise Toullec (piano) avaient déjà montré cette voie frissonnante d’envie, avec leur album « Dramaticules », titre emprunté à Beckett, tout comme celui de leur nouveau disque. Si l’ambiance rurale de la pochette du premier ne laissait en rien présager de la stupéfiante fauchée sonore que nous nous prîmes, méfions-nous de celle du nouveau, d’un style new art-déco, dont les visages mystérieux en disent long ! Tout comme les travaux et participations multidirectionnels de nos deux complices ! Citons, entre bien d’autres, les trios Pied de Poule et Un Drame Musical Instantané, ainsi que la création Les chemins dans la tête pour la vocaliste, et pour la pianiste, le quintet La Banquise, les disques « Un hibou sur la corde – pièces pour l’Opus 102 » et le tout récent « Apocalyptic Garden » enregistré avec Louis-Michel Marion.

Comme au sortir d’un rêve, voici « La qualité de l’air ». Début de l’émerveillement par de petites histoires étranges, imbriquées les unes dans les autres, en un puzzle surréaliste, on dirait du Magritte, ou du Delvaux ! Au cœur d’une délirante bousculade, Il y est tour à tour question d’air, de Fidel Castro, de boule/enclume, enfermée dans un ventre ! Inquiet, le vocal est multiple, en espagnol presque off, en français ou en murmures au vocabulaire inventé. Le piano, toujours sur l’angle furtif du son oblique, tantôt contemporain et pointilliste, tantôt sorti de sa Cage, bruitiste préparé (on dit même « étendu »), étreint ces voix, en une trépidante valse. D’une singulière façon, tout ici est suggéré, le normal passe devant des glaces déformantes, et devient fantastique, sans la moindre frayeur face à l’extraordinaire. Quelle renversante entrée en matière ! Le ton de tout l’album est donné !

Par la suite, c’est le récit d’une journée très particulière qui s’annonce, car parmi les onze pièces qui suivront, dont certaines assez développées, cinq étapes d’humeurs du jour s’intercalent comme les mini clins d’œil aléatoires d’une horloge imaginaire, qui rythment à l’envers le temps du soir au matin, avec à chaque fois un lien à l’heure indiquée. Cinq petits miracles, car c’est un exploit de faire entrer tant de choses de la vie, bribes de conversations off, cordes frottées, chant, appel au souvenir, stupéfaction, mais aussi sourire, dans à peine plus d’une minute à chaque fois ! Ailleurs, nous pensons également aux enfants, et proposons au ministre de la culture d’inscrire sans délai à leur programme ces deux Leçons de choses irrésistibles, qui leur apprendront dans l’instant la poule qui caquette, les soupirs, le chien qui grogne ou le chat qui miaule. Ils vont adorer ça !

Morceau très prenant, « La cheville ouvrière » fleure l’engagement, surement par son titre, mais aussi par la gravité des vocaux et du piano, qui vont crescendo, comme le flow d’une manifestation, posant les inconnues d’une équation sociale à résoudre. Viendra ensuite le touchant « Le réduit du jardinier ». Il inclut le titre du disque, en une mini pièce de théâtre, où poésie philosophique, bizarrerie et mélancolie sont en apesanteur, mots et piano en poly sons poignants, en hommage à Winnie, qui gémira d’un murmure bien singulier, avant de disparaître dans son trou. Enfin, grâce à « Harmoniques du soir » et « Chamane », nous voici partis en un voyage surprenant, quelque part entre Mongolie et Sibérie, par la magie d’un chant diphonique, porté par un piano dont le minimalisme suggère à merveille une possible tradition locale d’accompagnement que nous imaginons.

Servi par une captation très pure, cet album d’exploratrices visionnaires est une réussite qui célèbre de manière sidérante le mariage insolite de la voix et du piano, union à laquelle nos duettistes ont tant travaillé. Cette musique est un vrai coup de pied aux fesses de la normalité. Elle est le vent, nous sommes le château de cartes. Ici humour, absurde et inouï, c’est permis ! Trébucher, c’est souhaitable, perdre l’équilibre à l’intérieur de soi, pour se raccrocher aux branches du libertaire, c’est encore mieux ! Alors quoi ? C’est ça qui est merveilleux, non ? Ce disque nous pousse à continuer à avancer, le sourire aux lèvres !

Extraits en écoute ici :

http://drame.org/2/Musique.php?D=173

GRRR/Orkhêstra Distibution

Dominique Guiot – Prise de son et mixage

Trax – Visuel

trax.revolublog.com