Festival Les Nuits d’Hure, samedi 14 septembre 2025

Olivier Ker Ourio, Manuel Rocheman

Olivier Ker Ourio, harmonica
Manuel Rocheman, piano

« Affinities »

Des accords veloutés et délicats en introduction. Lancer ainsi Syracuse, c’est en annoncer la splendeur, prendre le temps de la description, des perspectives. L’harmonica d’Olivier Ker Ourio danse, déambule, frémit sous l’évocation. Des accords frappés pour donner du corps à l’ouvrage aux variations joyeuses, swinguantes et gracieuses côté piano avec Manuel Rocheman. Occasion pour l’harmonica d’Olivier Ker Ourio de flâner, serpenter avec allégresse, à la fine observation des émotions suscitées… par le morceau ! Ils privilégient tous deux une nostalgie joyeuse.

Les notes et les accords se balancent, une Promenade, où l’évasion se fait marche onirique. L’harmonica s’en saisit pour rêver  avec le piano, une tendresse, des chemins inconnus, toujours la volonté dans le jeu d’une joie volontaire, des découvertes, une méditation pour les deux, les promenades ne laissent pas tout à fait intacts… Les accords assurés de Manuel Rocheman servent d’appui précis aux sensations délicieuses d’un harmonica penseur.

Si on a oublié les possibilités d’un harmonica, c’est le moment d’en prendre l’ampleur, les sons habilement abordés livrent leur âme, une infinie palette de sensations, ressentis aigus ou profonds, autant de sentiments dans les doigts émotifs et habiles d’Olivier. Manuel vient en écho apporter l’éventail de son jeu, toujours chantant, aux harmoniques aussi solides que sensibles. Alors, on ferme les yeux et on se laisse enchanter…The Dolphin joué par Bill Evans, tiens donc…

Improviser sur Sous le ciel de Paris, c’est l’éclairer, injecter des éclats de musique comme la lumière  se diffracte dans les branches d’un arbre estival sur les bords de Seine. Manuel Rocheman construit en cathédrale, ici, structurant les montées chromatiques, en maintenant une tension pour mieux adoucir le trait dès que possible. Il donne à la rengaine son avenir, respectueux de son passé, bienveillant, mais désireux de la reconquérir pour de nouveaux horizons. L’encercler afin d’en chercher les échappées, les fulgurances, toujours soucieux de l’écorce.  

Les aspirations et les souffles d’Oliver traversent l’être dans tous ses états, soucieux de célébrer Affinity de Bill Evans et Toots Thielemans incluant  I do it for your love  de Paul Simon, traduction des affects à en frissonner de complicité… ce dont Manuel s’empare, l’accompagnant parfois, transformant aussi la matière dans la même poétique. Quand le cœur du duo de trente ans d’âge s’emballe, c’est juste pour en extraire l’intensité.

Comment définir, décrire la notion de paix dans un morceau, Aung San Suu Kyi (prix nobel de la paix 1991),  Wayne Shorter à l’approche, en  faire ressortir la gravité, la densité, la nécessité ardue d’une construction. Il faut se battre pour la paix, semblent manifester ici Manuel et Olivier, conscients de la valeur de la vie, balancement d’un accord vers l’autre pour Manuel, édifice progressif, volonté avec l’espoir comme moteur. Les deux musiciens font leurs cette doctrine dans des phrasés qui se juxtaposent, au verbe musical pour l’engagement, un manifeste sans doute, auquel on adhère, sans aucun doute.

Reprendre Un été 42, en attraper l’écume afin de faire surgir la beauté du désir, le moment de l’absolu, le fantasme qu’il autorise, la passion, l’évidence peut-être. L’harmonica d’Olivier Ker Ourio longe les sentiments, la liberté que l’on découvre alors.

Démarrage un peu buggy en rappel pour Manuel avec Olivier en réponse, dialogue ininterrompu, chemin faisant, deux musiciens dont l’amitié s’entend ici parfaitement. 

Pablo Campos trio invite Neïma Naouri

Pablo Campos, piano
Philippe Maniez, batterie
Clément Daldosso, contrebasse

Neïma Naouri, chant

« Jazz et comédie musicale »

Le démarrage est tonitruant avec This could be the start of something ! La batterie de Philippe Maniez découpe efficacement le tempo, la contrebasse de Clément Daldosso swingue ardemment, pendant que les doigts stylisés de Pablo Campos balaye le clavier du piano. 

Les arpèges et accords sont parfaitement plaqués pour un swinging charmeur, c’est pour le plaisir, la gourmandise. Les trémolos chatouillent les papilles, il faut se laisser embarquer par ce Love you madly de Duke Ellington.

… Et la voix de Neïma Naouri comble soudain l’espace. Pleine, à la puissance  Barbara Streisand. Les comédies musicales défilent sous nos yeux, colorées, charnues. Le trio de jazz l’accompagne, illustrateurs de sa présence. Le regard hypnotisant de Neïma ajoute encore à sa théâtralité. C’est bien ce que réclame le genre, et elle le lui rend bien. 

Les standards, Gershwin, Arthur Hamilton avec Cry me a river, se succèdent, enlevés par le jeu d’un piano très stylisé, laissant la place à la voix de Neïma, puissante et mesurée aussi, qui manifeste vraisemblablement un caractère bien trempé… Saisissante ! 

Ils continuent par un medley de West Side Story. Ils remettent à leur goût Maria, élégance en exergue, le piano voltige, la voix de Pablo s’élance, contrebasse et batterie maintiennent le tempo avec le même doigté.

Tonight réunissant les deux voix s’éclaire des couleurs jazzy de Pablo, additionnées de la dose d’adrénaline de jeunes talents. La batterie de Philippe Maniez bat la chamade pour célébrer le duo. 

Transformé en boogie, I feel pretty offre une nouvelle sève à la chanson, new génération oblige, du peps donc, les expressions du visage de Neïma Naouri accompagnent la déclaration autoproclamée et cela lui va bien. Un tel tempérament, ça ne se refuse pas !

L’interprétation de Somewhere est très touchante, rappelant qu’espérer  choisir les amours librement est parfois difficile à obtenir. Nous n’y sommes pas toujours… La mélodie est délicatement animée par Pablo, le duo de voix s’accordent pour cette ultime prière. 

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier

Galerie photos