34e festival d’altitude à Luz-Saint-Sauveur

JEUDI 10 JUILLET 2025
18h00 – Village de vacances Cévéo

Le Yuzu

Anaïs Andret-Cartini : trompette, voix
Héloïse Biseau : flûte, clarinette, voix
Piero Lévy : saxophone baryton
Marc Maffiolo : saxophone basse
Alex Piques : batterie

Pour l’inauguration du Jazz à Luz à Cévéo,  nous sommes accueillis par un sax baryton et un sax basse qui commencent par un tempo entêtant en fond de tableau, la batterie au centre pour l’équilibre, c’est du côté des deux voix que ça chavire, voix ondulantes, la langue espagnole pour susurrer, chatouiller, en intermède, trompette et clarinette parallèles. C’est Yuzu !

Ensuite, il serait question de Dormir ? Impossible, le tempo enlevé n’y enjoint pas, bien au contraire ! Flûte traversière et  trompette sont bien affirmées. 

On dirait des valses rockeuses, en mode saltimbanques, les sons sont soufflés, les croisements des instruments rebondissent. Puis, les instruments devenus objets insolites dessinent une mécanique, l’horloge murale marquant le temps, et ça fait des grandes enjambées, empesées, objets animés…

Le sax basse de Marc Maffiolo maintient la cadence tout du long, quand c’est bien réglé, ça se dérègle, c’est qu’on a toujours un caillou dans la chaussure mais ils ont bien l’intention d’ avancer sans cesse. Bien vu. Marc, virtuose de son sax basse, est en train de griffer le ciel, des stries partout, des notes chassées, la trompette plaintive d’Anaïs Andret-Cartini ricoche, la clarinette d’Héloïse Biseau la suit puis l’imite. Un serpent glisse, traverse la scène, sûrement. Les paroles d’Héloïse toujours humoristiques, mais revendiquant l’autonomie plutôt que le couple désosseur… On pense à de la BD musicale, et c’est un compliment.  Les instruments peuvent se faire onctueux, un peu chamallows, la batterie se métamorphoser en percu un instant, ils semblent parfois s’étirer, méditants, songeurs…

Les musiciens biguinent maintenant et les instruments dansent, la flûte traversière pour la fluidité et la légèreté.  

Ils traquent l’insolite, paroles et musiques comprises, avec à la clé une poésie décalée, mâtinée de Prévert, Trois pêches dans un pommier peuvent suffire à l’évasion ; le sax baryton de Piero Lévy se déplace mi-félin, mi- pachiderme, -ça n’empêche pas l’élégance- et un superbe solo du sax basse de Marc Maffiolo. 

C’est une musique joyeusement obsédante, fraîche, jazzy.

La fête commence à Luz !


21h30 – Chapiteau

Orchestre 2035

Victor Aubert : basse
Augustin Bette : batterie
Julien Catherine : percussions
Léa Ciechelski : saxophone
Alexandre du Closel : synthétiseur
Jérôme Fouquet : trompette
Daphné Jaquet : clarinette
Benoit Joblot : batterie
Basile Naudet : saxophone
Théo Nguyen duc Long : saxophone
Louis Prado : basse
Luca Ventimiglia : électronique
Thomas Zielinski : guitare, chant
Elvire Chesneau : régie son

Les visages masqués, l’appel en forme d’alerte de sirène laissent présager un événement. Pas faux, ils sont quatorze dont trois batteries tout de même à exploser, des doublets en claviers/synthé, guitares, basses, sax plus un ténor, une clarinette et une trompette. Ya l’feu ! Y’a pas d’doute ! Les masques sont déglingués, eux aussi, expurgeons ! Si vous lâchez, c’est foutu.

La salle est coupée en deux, une demie pour danser, l’autre pour rester assis, si c’est possible… On a aussi le crâne fendu en deux. C’est pas grave. Et puis, il suffit de dodeliner, si une moitié est vide, ben, on prend ; la remplie ne sert pas forcément. Je peux vous dire que ce délire quand les musiciens changent de tons, c’est bel et bien en mesure !  Ça pourrait être une révolte collective, une excitation aigüe. Les sax vrombissent. Révolte ? dérision du monde -faut-il nous y voir en miroir- dénonciation d’un absurde. Un mégaphone  pour les revendications foutraques.  D’aucuns sautent d’un pied sur l’autre sur scène, d’autres s’agenouillent. L’excès comme choix, disons l’excessivement.  Les batteries ne cessent de geindre. Battements obsessionnels.

Certains se sont assis, spectateurs de leur propre spectacle pour une transition plus planante.  On doit pouvoir se passer de substances, mais c’est pas sûr…notes tenues.  En fait, c’est hypnotique. On en a p’têt’ même les pupilles dilatées. 

Parfois, c’est une musique grouillante, groovante aux ondulations voluptueuses, un bain dans un liquide doux-amer, avec des pulsations à faire remonter des transes enfouies, et quelque chose de la liberté enfantine..


VENDREDI 11 JUILLET 2025
11h00 – Chapiteau

Lise Barkas, David Chiesa & Sacha Steurer

Lise Barkas : vielle à roue, cornemuse
David Chiesa : contrebasse
Sacha Steurer : danse

C’est un éveil, la danseuse déploie ses ailes, son corps pendant que la cornemuse de Lise Barkas et la contrebasse de David Chiesa sont dans le frémissement du monde, que de longues et lentes courbes prennent le temps d’un dessin. L’archet renforce le prolongement de la note. La danseuse Sacha Steurer, tremble à l’ombre de la cornemuse qui s’éraille maintenant, frémit encore. David Chiesa élabore une progressive litanie, au son profond, habité. 

En changeant de cornemuse, Lise Barkas rejoint le frottement du son, abeilles agitées, une occasion pour Sacha Steurer de tournoyer et trembler tout près des deux musiciens. Le sol se fissure. David Chiesa caressant les cordes de sa contrebasse nous fait entendre la mer lointaine. La danseuse prend appui sur l’instrument comme en dévotion. 

Lise a pris sa vielle à roue pour rouiller l’espace. La contrebasse de David la rejoint en grinçant.  Un temps pour une méditation. Puis, l’agitation du monde s’invite. La vielle devient nasillarde, fréquences radios introuvables, fureur de la contrebasse, ils griffent le son pour en dégager une substance, David rase ses cordes, les métallise, des avions piqueurs pourraient s’abattre sur nous, à l’approche, menaçants, les préoccupations du monde reviennent en force. Les deux musiciens annoncent la catastrophe. Puis l’éloignement, aux cordes désaccordées, permet aux sons de se lasser, de se perdre, faisant émerger une suave mélodie, nostalgie, espoir, élégie ? Une beauté lascive. Un chant du cygne.

Somptueux.


15h00 – Château Sainte-Marie

Susana Santos Silva

Susana Santos Silva : trompette

Des bourdons s’affolent devant les ruines du château Sainte-Marie, de plus en plus appuyés par la main talentueuse de Susana Santos Silva. Puis, presqu’une voix sort de  la trompette à demi-bouchée de Susana. Des gargarismes majestueux suivent. Des sons dégradés en éventail, sortis de tuyaux avec eau ferrugineuse, et ça chante quand même ! Une palette inouïe de sons souffletés, rebondissants, ping-pong, pas chassés, aspirations prolongées, interrompues, dérivées. Un ballet aérien de boules légères se cognant à des parois imaginaires, suspendues par instants, torturées par  d’autres, déchirées encore. Des chevaux au galop, parfois ailés pour suspendre le temps. Une mélodie en surgit, qui prend plaisir à des arabesques, des crêtes, en hommage à la montagne ? Susana semble en suivre les flancs, glissant, retenant, frisant, ponctuant…

Après, c’est la fête à une succession de rires pincés, narquois, intercalée de sons longs, stridents, graves, irrités, féroces tour à tour.

La trompette vagit, s’amuse, s’affole, pousse le son pour exiger un peu plus d’elle-même, franchir des portes, explorer des recoins inconnus, des associations de notes, de sons ignorés. Et même conciliabuler. La sirène d’un lourd paquebot passe en fond, insistant, se dédoublant progressivement, gras, un murmure s’y accroche. Les goulots d’étranglement remplis d’eau indomptée réapparaissent encore transformés. 

Susana utilise à la manière d’une flûte sa trompette, puis flûte de pan provisoire, c’est la joueuse d’Hamelin,  elle passe parmi le public, on est prêts à la suivre, même si on doit disparaître. 

Et juste une trompette, juste une !


21h00 – Chapiteau

Fabiana Striffler & Karsten Hochapfel

Fabiana Striffler : violon
Karsten Hochapfel : violoncelle

Ils commencent par des danses entraînantes, et pourtant fragmentées, des éclats pour les lancer,  ils semblent vouloir les retenir, ils les décrochent, la note incessamment grattée, à la recherche d’une nouvelle mélodie contemporaine, qui se laisse envahir par le rythme.  Karsten Hochapfel la distend pendant que Fabiana Striffler maintient le piqué, l’un propose à l’autre pour le sentir partir et se révèler à son tour… En transition, ils fabriquent tous deux un métronome commun qu ‘ils font vaciller pour aller plus loin. Improviser. Partager. S’écouter.

Ils passent à une délicieuse mélodie celtique, sorte de chant régional mixte, pas sûre de devoir désigner l’endroit, comme une tradition revisitée, et fruit de leur imaginaire détournant à nouveau l’harmonie pour inventer des variations, plus obsessionnelles, ouvrage d’aujourd’hui n’écartant pas la sérénité quand elle peut trouver sa place, entendre à nouveau l’harmonie et même la dissonance dans le même élan, paix provisoire pour relancer à nouveau le thème. 

Quelques notes finissantes pour le pouls musical, un seul cœur bat pour deux. Fabiana rappelle la mélodie invitant Karsten qui ne se fait pas prier.

Nouvelle composition sur la pointe des pieds, à pas menus, un balancier dans le corps, des onomatopées musicales qui se répondent, se chahutent. Notes heurtées qui se marient ou s’entrechoquent.  Ils finissent par étirer les sons pour une belle disharmonie avant de reprendre le jeu savant. 

Les deux instruments dont chaque musicien est au plus proche, en en révélant chaque spécificité jusqu’à une extrême sensibilité  grâce à un toucher remarquable s’entrelacent ici, le symbole de l’infini inlassablement. Leur écoute mutuelle est absolument splendide.

Encore, encore et  encore. Oh oui !

Que d’émotions ce vendredi…

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (alias tamkka)

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