Asura Quartet à l’Oara Nouvelle Aquitaine

Chaque année se tient au Rocher de Palmer le Tremplin Action Jazz. Il réserve son lot de surprises, en présentant des formations de jeunes talents, qui captivent par l’originalité de leurs compositions, et leur solide niveau. Ce fut le cas de l’Asura Quartet, qui a remporté le Grand Prix du Jury en janvier 2024, ce qui lui a permis, entre autres, d’être programmé en divers endroits de renom (Soulac N’Jazz, Anglet Jazz Festival, Pôle Évasion Ambarès et Arcachon Jazz Festival) mais aussi d’être invité par l’OARA (Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine) pour une résidence dans la MÉCAscène, du 24 au 28 février 2025, pour peaufiner sa musique et y donner ce concert de sortie public, filmé en direct le 27 février.
Cette soirée était dédiée à Philippe Méziat, décédé en octobre dernier. Célèbre journaliste, notamment à Sud-Ouest, Jazz Magazine et Citizen Jazz, il fut également programmateur éclairé de concerts et festivals, comme le Bordeaux Jazz Festival, les Bordeaux Jazz Sessions, et l’un des directeurs artistiques du Festival Jazz à la Base, sans oublier ses collaborations, aux soirées « Mets ta nuit…dans la mienne » au Théâtre des Quatre Saisons à Gradignan, et aux Jazz Box.
Assorti de superbes photos, ce très touchant hommage a été co-présenté par Joël Brouch, directeur de l’Oara, entouré de Guillaume Méziat, qui nous a dit avoir trouvé des trésors de films chez son père, de Cécile Lena (Créatrice des Jazz box), d’Emmanuelle Debure (co-autrice avec Philippe Méziat du livre « Histoire/histoires du Jazz dans le Sud-Ouest », présenté ici-même à sa sortie), et d’Éric Chevance, beau-frère de Guillaume, qu’une longue et riche relation liait à son père.
Juste avant leur concert, les musiciens d’Asura Quartet ont eux aussi rendu leur hommage à cette illustre figure du jazz dont ils connaissaient l’action, sous la forme d’un court morceau improvisé sans titre, une ode spontanée à la pénombre secrète du souvenir. Un chant de pure candeur, mêlant tendresse sincère et esprit rebelle aux confins du free, ce que Philippe Méziat aurait sans nul doute apprécié, lui qui a toujours défendu les jazzs « vifs », surtout ceux de la nouvelle génération.

Après une brève présentation d’Alain Piarou, président d’Action Jazz, le concert débute alors. Les quatre musiciens arrivent un à un, enveloppés d’un jet de lumière venant du haut, comme s’ils descendaient d’un vaisseau spatial. Ils sont tous vêtus de noir, du t-shirt aux chaussures, comme pour s’effacer visuellement face à la lumière et aux sons qui capteront au mieux l’attention du public. Asura Quartet ce sont Martin Arnoux (guitare, effets, compositions), Pierre Thiot (saxophone soprano, effets), Octave Potier (contrebasse) et Simon Jodlowski (batterie).
« Monsieur Plus » est ouvert par une contrebasse au doigté insistant et articulé, qu’accompagnent cliquetis et impacts fiévreux de batterie. Les deux se voient rejointes par des riffs de guitare brossés, à l’épais mystère, jusqu’à l’arrivée du saxophone qui définit le thème, interrogatif d’abord, mais qui ne tarde pas à partir en tourbillons volubiles à la Dave Liebman, qui aspirent le flow des quatre associés. Des jongleurs illusionnistes, peintres du son instantané et de l’espace offert, qui insufflent à ce morceau une ardeur et des breaks aux saccades calculées, qui sont un clin d’œil à l’oncle « et ses excès » de Martin Arnoux. Quelle entrée en matière !
Suivent les « Vagues », douces et rêveuses, tranquilles et argentés, elles seront bientôt irisées d’un premier chorus de Martin Arnoux, d’une finesse qui révèle sagesse et intériorité, comme l’écume au faîte de la crète mouvante des eaux. Les trois autres complices l’entourent pour protéger ses notes cristallines, et en préserver les fragiles éclats. Final de saxophone électronisé suivi d’un chorus monstrueux de Simon Jodlowski sur un tapis de braises électroniques de Pierre Thiot accroupi devant son set de pédales, tel un jeune sorcier.
Avec « Madame moins », nous sommes toujours dans une sorte de « family affair » ! Hommage cette fois-ci à la tante « modérée » de Martin Arnoux. S’installe un très bel échange entre guitare et saxophone. Pierre Thiot part dans un solo onirique, à la mélancolie enflammée, bien vite rejoint par un chorus de guitare, de la même veine émotionnelle. Un bijou de petite musique intime qui flotte comme le rêve étoilé des souvenirs les plus tendres, les solistes étant portés par les fourmillements attentifs d’une rythmique à la souplesse caressante qui, d’une irrésistible échappée qu’on ne saurait entraver, soutiendra plus tard l’envol d’un soprano illuminé, au chant presqu’incantatoire repoussant les limites.
Les commentaires de Martin Arnoux sont toujours discrets et pesés, juste l’essentiel, afin d’éviter toute rupture entre les titres. Il en profite à ce moment du concert pour présenter les morceaux joués, et ceux à venir, formuler de sincères remerciements à l’Oara et ses équipes, ainsi qu’à Action Jazz, et évoquer le gros travail de fond qu’ils ont pu réaliser lors de cette résidence inespérée, notamment sur les lumières du spectacle, afin de donner une « âme visuelle à leur musique ». C’est aussi l’occasion d’approfondir les thèmes et d’aller « un peu plus loin dans leur essence… ».
Très attaché à sa famille et vrai gourmand, Martin Arnoux nous présente alors deux titres jumeaux qui croquent aux oreilles, le « croquant » est en effet un biscuit d’Isère que lui donnait sa grand-mère, aussi connu sous le nom de « croqué » dans le sud-ouest. Et voilà donc cet appétissant « Croqué volant » qui démarre par une longue intro au son d’une corne de brume cosmique très puissante du sax soprano carrément « augmenté », voire possédé, c’est incroyable l’effet que peuvent faire ces pâtisseries, apparemment inoffensives ! Puis arrive pour un duo la délicate guitare, fragile mais pas peureuse, conteuses de douces histoires d’antan, un échange harmonieux dense et habité, alors que se pressent à les rejoindre cymbales et archet. Fin magnifique. Il sera suivi de sa variation « Croquant volé » un tout nouveau morceau, dont nous sourions à l’humour de l’intitulé inversé. Le charme du verbe, c’est aussi ça l’une des marques de cet étonnant quartet.
Ces garçons nous poussent à trop prendre nos aises, alors place à « Equilibre » et soyons fous, perdons-le ! Il vient nous bousculer, avec un ton plus speedé, scandé par la rythmique qui pompe comme un gros cœur vaillant, des accords de guitare en sous-couches stylées et le souffle hardi du saxophone, qui mène l’équipée, voilà les ingrédients indispensables comme le disait jadis la grande Shirley Horn. Un solo de guitare magnifiquement maîtrisé traverse alors l’espace. Cette pièce est aventureuse et montagnarde, rien n’est plat là-haut ! Il s’agit là de l’être quasi démuni mais réactif et conscient, face à l’immensité dangereuse de la nature imprévisible qui l’entoure, de petits recoins en larges espaces, propices à la trébuche, ou pire à la chute, dont il est lui-même partie prenante.
Suite sereine toujours dans les hauteurs hasardeuses, « Calme Mont » est une promenade poétique au Pic de Montcalm en Ariège. Longue introduction de guitare, d’une beauté tranquille et aérée, qui amène le thème, annonciateur du pic que l’on atteindra, grâce à eux. Le saxophone intervient, assez « garbarekien » au départ, jouant l’oiseau de haut vol qui défie la rythmique alpiniste qui s’enhardit et choruse, minérale, la terre aux mains et les rochers aux semelles. Une ascension qu’aident les strates d’une guitare insistante au bois subtil, en densifiant l’oxygène de cette escalade. Finish tourbillonnant comme un torrent jaillissant d’une anfractuosité inattendue.
Nous nous voyons offerts quelques instants de répit avec « Interlude ». En effet, toute promenade mérite une pose, propice à la réflexion, induite par ce drôle de sax mutant à deux voix, l’une étant l’écho transformé de l’autre. Une petite ritournelle rêveuse en forme d’escale éphémère, au croisement de deux sentiers cachés par de hautes fougères ancestrales.
Non, nous ne marchons pas suffisamment, nous ne nous promenons pas ou plus, mais sachons qu’ « Il y a toujours un chemin » qui s’ouvre à nous. Ici, un mystérieux raga électronique nous invite, puis éclate en mille fleurs rares aux couleurs optimistes. Le sax les cueille sur d’abruptes pentes fertiles, et les accords et battements de la troupe omniprésente tremblent au presqu’unisson. Cette pièce évoque les pistes non balisées en montagne, ou en pleine nature vierge, le risque de s’y perdre, mais aussi de s’y retrouver transformé, par la force vitale qui habite chacune de nos âmes. C’est aussi la portée philosophique de sa propre voie qui est évoquée là, et les harmonies un peu désordonnées du morceau, indiquent les turbulences de l’esprit humain, et sa capacité à improviser sa vie, en sachant tous ses risques.
Le set est presque terminé. Introduction mystérieuse à la guitare puis au sax et le reste de la troupe, climat répétitif portant le dernier message de Martin Arnoux, au nom de ce groupe. « Voici venu le temps des remerciements… », présentation des musiciens qui jouent chacun ses notes. Émouvant, chaleur, élégance et générosité de ce groupe très attachant.
Vient enfin « Poc à Poc » , cela signifie « pas à pas » en occitan, un vrai symbole de parcours et de route ouverte en grand pour eux. Punchy en diable, la dynamique emporte tout, avec générosité et envie. Un groove humaniste innerve cette dernière pièce, c’est joyeux, engageant, les couleurs musicales et les humeurs de chacun s’entremêlent gracieusement, en une vraie farandole fraternelle. La synergie par les interactions et les sons, la précision du trait, une insécable entente entre ces créateurs d’images et de sons, un final serein et ondoyant qui eut été idéal, oh mais ne l’imaginiez-vous pas, c’était sans compter le beau rappel gourmant qui nous fut offert !
Nous ne quittons pas la table de ce délicieux festin ! « Red Snail » clôt ce passionnant concert, qui a conquis un public enthousiaste venu en nombre. C’est l’histoire d’une excellente confiserie très appréciée de Martin Arnoux (nous le savons épicurien et n’ignorons pas ses sources anciennes, qu’il évoqua jadis !). Start très doux, percussions chercheuses, guitare au riff fantomatique et basse au doigté minimaliste, puis voici la batterie multiple et le saxophone qui présente le titre en chantant la mémoire et ses envies. Un solo de guitare de toute beauté survient alors et fait s’envoler ce petit « escargot rouge » à l’altitude des grands oiseaux ivres de liberté, prompts à taguer de rouge l’écran du ciel bleu inaccessible. Retour des quatre au thème, semblable à une chanson lointaine, dont le sourire mélancolique évoque tant de choses, qui se bousculent, et nous basculent dans nos intimes souvenirs.

Asura se présente comme « une ode au temps, une invitation à la contemplation, une recherche profonde des émotions. », et l’on ressent cela en chacun de ses morceaux. Pour nourrir cette quête, ce groupe a aussi le charme discret de la modernité à tête chercheuse. À l’instar de quelques autres formations, il a su résoudre une équation vitale : Comment aimer avec passion l’histoire mouvementée du jazz et ses courants, et écrire aujourd’hui d’une moderne plume, plongée dans une encre future, le poème passionné de sa diversité ?
Le lendemain, nos trois acolytes partaient à Meudon pour enregistrer leur premier album qui devrait sortir à l’automne 2025. Auparavant ils auront été les invités de Marjolaine Portier-Kaltenbach au prestigieux Club Jazz à Fip, la date vous sera ultérieurement précisée.
Notons enfin quelques dates de participations importantes pour Asura Quartet :
28/04/2025 – Participation au concours des jeunes talents de Jazz à l’Ecuje – Prix René Urtreger – Paris
17/06/2025 – Concert aux 38Riv Jazz Club – Paris
Un remerciement spécial à Martin Arnoux pour les indications précieuses qu’il a bien voulu nous confier.
Par Dom Imonk, photos Philippe Marzat
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