Anouar Brahem Quartet au Rocher de Palmer (Cenon) – 18 avril 2025

Anouar Brahem, oud
Dave Holland, contrebasse
Anja Lechner, violoncelle
Django Bates, piano
La précaution au monde agit dès les toutes premières notes du pianiste Django Bates, Anouar Brahem y incruste une mélodie discrètement accompagnée par sa propre voix. La contrebasse de Dave Holland s’y glisse, puis le violoncelle d’Anja Lechner. Le temps doit ralentir ainsi, adouci par cette brise délicate. L’oud creuse les siècles, l’âme. Exister, nous dit cette musique – autrement – ou alors tout est là, et elle nous enjoint à regarder, contempler, respirer. Le piano invite le jazz à notes ténues, récupère la mélodie : swing raffiné, juste quelques touches éthérées de la contrebasse et du violoncelle rejoint par l’oud.
Les duos violoncelle et oud sont de toute beauté : harmonie, suavité. Anouar les enlumine avec des détails toujours essentiels, nourriciers. Le mariage d’une culture arabe ancestrale avec les harmoniques jazzistiques, heureux par une grâce continue. Le violoncelle majestueux s’envole parfois comme un héron séculaire.
Ils nous livrent tous ensuite un court morceau presque piazzollesque dont suinte une énergie primitive, une rébellion (collective).
D’ailleurs, l’engagement ne tarde pas, After the last sky, poème palestinien de 1986. Quel endroit, plus loin… Anouar raconte cela, la musique se fait émotion pure. Le piano de Django Bates évoque la tragédie, chaque frémissement des doigts de Dave Holland sonne un glas. Gravité, espoir et désespoir se mêlent comme les quatre instruments. Bien au-delà des mots, bien au-delà… La plainte du violoncelle d’Anja Lechner éclaire la recherche d’une voie. C’est bref, et pourtant intense.
Dave Holland fait vibrer sa contrebasse comme sœur de l’oud, une lumière éclaire ainsi nos vies : traversée mystique pour eux, questionnement pour nous. Fauchés.
Des bribes d’Aranjuez semblent briller dans la cosmogonie d’Anouar Brahem. On ressent quelque chose de l’ordre du mystère ou d’un enchantement pour les plus prosaïques. Les accords d’Anouar fouille l’humain, sensibles aux paradoxes. C’est en même temps une suspension de la conscience. Le jeu du jeu de Dave Holland en duo est une autre lumière, faisant briller les couleurs d’Anouar, encore une belle alliance, une superbe complicité.
Sans cesse, les doigts agiles du pianiste dansent sur les touches. L’être avec Anouar Brahem commande aux mains de gratter les cordes jusqu’à ce que le suc de l’existence en jaillisse, une quête, sans cesse. Eprouvée… Contrebasse et piano nous entraînent dans un tourbillon d’eau, d’aspiration délicieusement vertigineuse, sorte de danse que suivent ensuite oud et violoncelle.
La terre a forcément ralenti, attendrie, séduite.
Les cordes elles-mêmes sont rehaussées d’habits majestueux, ou est-ce leur dépouillement, leur subtile nudité qui nous émeut ?
Une corde appuyée, pincée, un monde sonore inhabituel. Les vibrations, les frémissements, les accentuations sont autant d’expressions de l’humanité. Django Bates frôle son clavier, que l’imperceptible éclose, fleur à la rosée ravissante. Poèmes musicaux.
Dave Holland insinue le jazz qui sied à la musique d’Anouar Brahem, astucieuse hybridation, le violoncelle d’Anja Lechner dans sa veine plus classique étend encore la composition. Nous respirons plus lentement, c’est indéniable, comme apaisés…
Chaque son, chaque note, chaque ton, demi-ton, offre son âme par le toucher de ces musiciens. Le « à peine » livre ses richesses, ses teintes ; les mélodies en naissent, accouchées avec volupté. Rare. Précieux.
Et quand ils ralentissent, c’est juste pour rappeler qu’il n’y a pas de fin…
Quant au sourire de Dave Holland, heureux complice, houla…
Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier
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