The Headhunters au Rocher de Palmer ce 31 octobre 2025 : retour aux sources du jazz funk, un concert d’anthologie.

Line up :

Bill Summers, percussions, chant
Mike Clark, batterie
Chris Severin, guitare basse
Shea Pierre, claviers
Craig Handy, saxophone ténor

La formation mythique fondée par Herbie Hancock au début des années 70 qui a vu passer certaines des légendes que furent Stevie Wonder, Wayne Shorter, Tony Williams ou encore l’ovni Jaco Pastorius est toujours là, et l’a bien démontré ce soir. Au sein du groupe basé à la Nouvelle-Orléans sont toujours là les deux piliers que sont le percussionniste Bill Summers présent depuis le premier album Headhunters en 1973, rejoint par le batteur Mike Clark l’année suivante sur Thrust. Ils sont entourés ce soir de Chris Severin à la guitare basse, Shea Pierre au clavier et Craig Handy au saxophone ténor.  

En préambule Bill Summers remercie l’organisation, les ingénieurs son et lumières, et rend un hommage chargé d’émotion en présentant Mike Clark « le plus grand batteur de tout l’univers,…mon frère » avec lequel il a partagé cinquante années au sein de cette formation. Il présente également les trois autres musiciens avant l’attaque en règle d’une ligne de basse annonçant la couleur : funky. Tandis que le saxophone tenor de Craig Handy donne le ton : délicieusement free, en réponse aux riffs de la basse à sept cordes de Chris Severin. Il y a cette pulsation installée, terriblement efficace, qui ouvre la voie aux solos de chacun : claviers en folie, tempo soutenu, Bill Summers aux congas et calebasse, solo de basse syncopé, batterie envoûtée tissant un groove des profondeurs et ce sax ténor entre les mains de Craig Handy amenant une douceur céleste. Les Headhunters depuis toutes ces années ont peaufiné leur style avec une efficacité diabolique au millimètre, avec ce groove permanent qui prend son temps, cette fausse lenteur où s’imbriquent progressivement des ostinatos en couches rythmiques superposées qui est leur signature.

Hommage à Wayne Shorter avec ce magistral ‟ESPˮ introduit aux congas et batterie aux balais, et le chant tribal incantatoire de Bill Summers en langue yoruba invoquant les esprits de l’Afrique ancestrale. Des références introduites à l’époque par Herbie Hancock comme un retour symbolique aux racines africaines des Noirs en lutte pour la reconnaissance des droits civiques aux Etats-Unis dans les années soixante comme nombre de musiciens afro américains de cette décennie.    

En suivant, ‟Butterflyˮ, le titre de Herbie Hancock présent sur le deuxième album Thrust en 74 est carrément sidéral avec ces nappes de synthé, le contraste entre la rythmique profonde, feutrée, une pulsation souterraine, et les chorus du saxophone en ballade nonchalante, jusqu’au moment où tous les éléments s’imbriquent, dialoguent, façonnent cette musique organique qui prend aux tripes et donne envie de bouger.

Intermède, le temps pour Bill Summers de décapsuler avec ostentation une bière en invoquant les orishas, ces divinités issues des cultures syncrétiques de Guinée et importées par les esclaves africains déportés à Cuba, un pays où le percussionniste s’est immergé au point d’en faire un album, Ilù Orishas paru en 1992 avec Iroko. Entonnant un chant en langue yoruba pour honorer Ogun, dieu guerrier par une offrande aux congas, Bill lance la fameuse intro syncopée au motif ‟bouteille de bièreˮ inspiré des flûtes Pygmées. On l’aura deviné, c’est ‟Watermelon Manˮ, autre titre mythique qui emporte le public. Suivra le thème lancé au saxophone du standard ‟A night in Tunisiaˮ, nouvelle occasion de se faire plaisir, et pour terminer les claques funk de la basse sept cordes de Chris Severin annonçant le tube planétaire ‟Chameleonˮ, qui ce soir devient transe communicative, groove puissance dix.

La salle 650 du Rocher (loin d’être pleine, vous avez raté quelque chose…) est debout pour un rappel qui s’annonce par une syncope entêtante de cliquetis, de conga et de clavier qui installe la trame sur laquelle brode tel un équilibriste le saxophone tenor de Craig Handy, et ça monte, et ça pourrait ne jamais finir, juste cet ostinato hypnotique, un train qui roule sans fin, au bout de la nuit.

Les Headhunters nous ont offert un retour aux sources rafraîchissant qui a fait la part belle aux valeurs sûres de leur répertoire des années soixante-dix, qui incite à réécouter les albums Headhunters, Thrust, Flood et Man Child, mais aussi de découvrir leur dernier album The Stuntman, sorti en 2024. Ils ont démontré ce soir que le jazz funk est toujours vivant, et son appropriation par nombre de jeunes formations jazz au sein de leurs arrangements d’aujourd’hui en est la preuve.

Par François Laroulandie, photos David Bert

https://www.lerocherdepalmer.fr/

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