34e festival d’altitude à Luz-Saint-Sauveur

SAMEDI 12 JUILLET 2025
11h00 – Station de ski de Luz-Ardiden

Katherina Bornefeld « AngelTalk »

Katherina Bornefeld : bols chantants, gongs

Pour Katherina Bornefeld, l’environnement est primordial. Elle s’en imprègne avant tout ainsi que de la réception du public.  C’est dit.

Elle souffle dans une conque, tout d’abord, pour invoquer… la paix. Une adéquation avec la nature, donc reliée aux éléments. 

Une baguette sur des bols tibétains et de cristal, deux notes dont l’extension fait la profondeur.  Ça innerve le corps comme un fluide nourrissant, bienveillant. Ça monte dans la tête, le cerveau s’apaise. Le temps reprend sa place, une grande nappe, un air épuré. La montagne en décor naturel pénètre nos âmes. Les bols tibétains allongeant nos heures dissolvent nos appréhensions. Quelque chose d’une harmonie s’installe en nous, parmi nous, à travers nous, public, musicienne et sons inclus. Le gong frôlé étale ses résonances. On entend le passé devenir aujourd’hui, horizontalité et verticalité en une seule matière. Une deuxième baguette s’insère dans ce nouvel espace ponctuant ce qui pourrait être une marche vers, un chemin ignoré à travers soi avec les autres, tous, multiple, un. Ralentir, partager, ressentir, c’est peut-être bien pour mieux apprendre à exister. Etre attentif, un avenir…

Que les sons soient brefs ou longs, ils sont un éventail qui se déplie lentement, invitant l’oreille à une méditation, un état second, à chacun de le recevoir mais dans une totalité.

Nos yeux se ferment peu à peu comme en recueillement pour réapprendre à assimiler, reconnaître, découvrir.

Le tambour océan, inventé par Olivier Messiaen…, que Katherina incline reçoit le mouvement des vagues roulant sur le sable et les coquillages. Bien sûr qu’on les voit, l’imaginaire alors tout entier en nous reçoit la nature. Présence et absence sont une seule et même perception. 

Le cercle dessiné par Katherina Bornefeld sur le gong avec une baguette envoie des ondes, nous sommes bien dans l’univers, petit certes mais dans le Plein. 

Quelques coups de gong font penser à une traversée, pas à pas, vers une autre conscience plus ouverte au Tout.  La rayure pour un son à 360 degrés, renvoie à cette totalité. Permanence bienfaitrice. Immanence ? Je ne sais pas. Des têtes se penchent en avant, célébration d’une humilité, ça ne peut pas faire de mal… Oserais-je, un dépouillement. Le son s’éloigne pourtant inscrit en nous, un carillon Koshi délicat tintinnabule, le mouvement ressourçant de la mer revient, respiration continue, source de vie.

Merci, madame. Y a plus qu’à.


15h00 – Station de ski de Luz-Ardiden

Joranima invite Sacha Steurer

Patrick Charbonnier : cor des Alpes
Christian Pruvost : cor des Alpes
Sacha Steurer : danse

Le vent s’est immiscé dans le cor des Alpes de Christian Pruvost, par rafales plus ou moins puissantes, s’évaporant, repartant plus loin, aspirant, frisottant, roulant, culbutantes. La danseuse Sacha Steurer fait de même, un deuxième cor, celui de Patrick Charbonnier joue un instant à l’extérieur le son familier des échanges dans la montagne : ils s’appellent l’un l’autre, d’un col à l’autre, il nous suffit d’imaginer. Instruments d’écho et d’échanges, de reconnaissance, informatifs aussi. La montagne leur répond-elle ?

Quelle puissance de souffle !

L’un racle le sol, en avançant, sonar de baleines en mal de mer, l’autre gronde, la danseuse compose avec eux, butinant leurs sons pour des expressions parallèles. 

A défaut des montagnes au risque orageux ce matin – elles veillent sur nous tout de même –, les deux musiciens exploitent les aspérités de la salle de Luz-Ardiden pour que les sons reviennent en boomerang. Une boîte de conserve « arrangée » est posée dans le pavillon du cor, nasillant le son, le métallisant, créant des irisations pour l’un, une résonance plus appuyée, parfois plus grasse, des ondes plus menaçantes pour l’autre, en fréquence inquiétante, apportant un mystère. 

Chacun ajoute un prolongement élastique à son cor des Alpes, sorte de membrane caoutchouteuse pour transformer le son, le retour, quatrième complice variant la fréquence. Les deux pavillons posés sur la mezzanine accueillent la danseuse qui se contorsionne sur la balustrade. Les sons se mêlent, sirènes de phare prévenant des bateaux fantômes.

Quand elle redescend, la danseuse les aide même à soutenir les deux instruments entamant une marche sur place au rythme des sons plus saccadés.


19h00 – Forum de Luz-Saint-Sauveur

Zéa & Xavier Charles

Arnold de Boer (Pays-Bas) : guitares, voix
Xavier Charles : clarinette

Pas sûr d’avoir besoin de comprendre précisément les paroles en frison de Zéa pour être touchés par cette sensibilité poétique à fleur de peau… La clarinette de Xavier Charles illustre les émotions, amplifie, atténue, serpente le long des paroles, bien plus qu’une accompagnatrice, en invention constante ! C’est un paysage psychologique qui défile au rythme de la guitare sauvage d’Arnold de Boer. Waiting. Chansons sur l’attention à porter à l’autre, à ses peines. Homme à cartographier l’humanité que nous devrions étreindre, Arnold de Boer choisit aussi des écrivains de divers pays qui racontent quelque chose comme le sens de  la vie,  le bagage que l’on porte, un Du Bellay contemporain.

Kiss.Son élocution est une poésie en soi. La mort qui nous attend demain est bien plus douce puisque musique et poésie rendent le temps élastique nous explique une chanson berçante. Tomorrow I will die.

Le passage à la guitare électrique suggère à Xavier Charles encore plus d’effets sur sa clarinette magnifique, impressionnante. La langue anglaise est le philtre des insurrections de Zéa. Des questions restent en suspens et quelles questions, What should we do with our body….

Zéa absorbe la vie et la restitue sous forme de contes du jour et de la nuit, papilles cérébrales et physiques. Quiet.
Une attention au monde stupéfiante.

A garder précieusement si l’on se perd.


21h30 – Chapiteau

Biliana Voutchkova & Susana Santos Silva

Biliana Voutchkova (Bulgarie) : violon, voix
Susana Santos Silva (Portugal) : trompette

Manifestation d’insectes volants dans les doigts de la trompette de Susana Santos Silva, abeilles en folie, Biliana Voutchkova érafle les  cordes de son violon, le calme revient si l’on peut dire par un son long, disharmonique, éraillé pour le violon, un ralenti cérémonieux, quelques mots de sorcellerie à peine audibles sortis de la bouche de Biliana.

Place aux onomatopées musicales, grattements, aspirations, un violon rouillé, quelques vantaux usagés agacés par un vent sournois… Des petits rongeurs grignotent les deux instruments, cri de  souris  affolée du côté de Susana, un archet qui scie méticuleusement les  cordes, la trompette régulièrement inquiétée par son bouchage et débouchage. Des gouttes de pluie sur un seau métallique côté violon avec des claquements buccaux. Les instruments se mettent à siffler, qui craignent-ils ?

Un duo déjanté se profile, les sons se vrillent, des grognements, chuintements s’invitent, un morceau éreinté tente une percée, une voix plaintive prolonge le violon de Biliana, air d’une contrée onirique qui amène la trompette de Susana à déployer ses ailes.

Un son long à nouveau en déconfiture avec une incantation. Les instruments vont peut-être se dissoudre… à moins que de minuscules clochettes ne relance le jeu. Des oiseaux siffleurs apparaissent. 

C’est un cabinet de curiosités.


23h30 – Chapiteau

Aimé Brees : trombas
Nicolas Cabello Aguilar : batterie
Jérémy Couraut : espina, voix, direction, composition
Jérôme Désigaud : trombas
Nicolas Frayssines : trombas
Simon Kastelnik : trombas
Claire Lascoumes : trombas
Priscilla Muré : trombas
Marc Oriol : cascavaliera
Antoine Perdriolles : batterie
Lilli Stefani : pétadou
Alice Zapata : cascaveu, cigales
Pierre Montel : régie son
Jérôme Désigaud : luthier

Des calebasses en instruments de musique en veux-tu, en voilà ! Vespa Cougourdon Ourchestra  entre sur scène en passant par le public debout dans la salle. Nous sommes immédiatement chamanéisés ! Musiciens aux visages peints, zébrés ; nous nous balançons en les imitant, envoûtement totalement consenti ! c’est la fête des sens, chakras éclatés, on s’en fout !
On saute sur place, un pied, l’autre ! Des vagues de musiciens qui avancent et reculent, batterie/percu au fond mais au centre, le chaman secoue le totem, une calebasse évidemment, c’est la fête à la musique. 

Une guêpe pique des spectateurs dans la salle, le poison ensorcèle ceux-là, bien sûr, il n’y a  plus qu’à laisser agir, et ça marche. S’il reste un moment de lucidité, arrêtons-nous sur les instruments, calebasses déformées, réformées, superbes créatures. 

On danse avec des démons joyeux, fait pour exorciser les malheurs.

Une flûte calebassée, calebossée plutôt appelle les compères et commères à lui répondre. La carotte à saisir est dans la danse, eh be, heureux premier degré ici elle est bien au bout d’une ligne où pendent des rubans. La carotte attend son roi ou sa reine. Vous voulez donner de la joie, faites comme eux, sautez sur place, en communion avec les autres, cérémonie de partage, une fête païenne. Le pollen largement distribué, fertilité de la vie, Roméo est descendu dans le public qui se transforme en une gigantesque farandole. Les paroles incantatoires  ou folles, qu’importe, chauffent le sol. Une transe se forme. Tout le monde tombe sur le sol, « l’élection du roi de ce soir renverse les rois pourris du monde »…

Carnaval, chantent-ils, liberté immédiate, pas d’interdits, les corps se délient. Fertiliser les esprits. « Changez le monde »Allez ! On suit !

Déjà pour une nuit…

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (alias tamkka)


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