Un endroit bienveillant de Charente-Maritime et c’est peu dire…

Vincent Peirani laisse le tempo venir remplir l’âme de son accordéon, ce qu’il faut pour que celle du sax soprano d’Emile Parisien s’élève dans une tendre mélodie. lls accueillent le silence, qu’il y entre, précieux, que les notes y prennent leurs places, de plus en plus épanouies, trouvant leurs arabesques, leurs tessitures. Pour Temptation Rag, l’accordéon déploie précautionneusement sa tendresse, au souffle plein, aux halètements intermittents. A chaque frôlement, une enluminure finement dessinée par Émile.
Petit medley de morceaux d’Astor Piazzolla, la maîtrise de l’accordéon de Vincent Peirani passe par le lieu le plus juste de l’émotion. Quelques tapotements appellent l’inventivité d’Emile. Ils retrouvent Piazzolla en privilégiant les pointillés, un tempo aspiré, inspirant virevoltes et miroitements. Astor, plus qu’un hommage, une transfiguration, de quoi s’envoler, tournoyer à touches menues, une façon de restituer en retenant, enrichissant la virtuosité mélodique du célèbre musicien. Émile tourbillonne ainsi, respectueux de la mélodie mais en la magnifiant. Quelle écriture et quelle réinvention !
Vincent, telle la roue d’un paon, ouvre son éventail, un son d’orgue pour la profondeur, éveillant les sons de la terre, son mystère, ses forces antagonistes, tension et relâchement, vibrations telluriques par endroits, pour que s’épande inlassablement la somptueuse lave du sax soprano d’Emile. Jets, contorsions, couleurs, une création puissante et vive, chemins inattendus saisis, en en recréant d’autres incessamment…
Pendant que Vincent Peirani devient le poumon de leur aventure, le regard d’Émile scrute l’invention. Ils se surprennent encore, pourtant longs compagnons de route, et cette fidélité leur fait exploiter plus encore.
Quelques ondes frémissantes traversent lentement l’accordéon de Vincent, une certaine gravité parfois, la splendeur des accords comme une respiration invocatrice. Émile accompagne cette prière, ils laissent tous deux les sons emplir l’air, une montée en cathédrale mais que tout en haut ils y atteignent un dénuement, quelques slaps, un accordéon parfois à l’étouffée afin que mieux encore les accords à venir deviennent une traversée, spirituelle sans doute. Pour Nouchka.
Musique et être en devenir ne s’éloignent jamais de ces deux-là. Les mélodies retrouvent alors leurs places honorées de ces égarements apparents. Émile s’en empare, réintègre un swing, que la fête continue avec The Crave de Jelly Roll Morton. L »invention darde de ses rayons le public fasciné. Les deux musiciens appellent les sonorités pour partir ailleurs à nouveau.
Emile se lance dans un nouvel air qui aurait des siècles d’expérience, effets de la mélodie, ramenant en réalité les deux compères à Army dreamer de Kate Bush, swing charmant et chaloupé, qu’esquisse d’ailleurs Émile, physiquement. Bien sûr qu’Emile Parisien et Vincent Peirani s’amusent aussi, une tresse savoureuse à déguster immodérément !
Par Anne Maurellet, photos Jean-Claude Touzalin
