Ludivine Issambourg sextet
Pierre-François Blanchard, Thomas Savy

Ludivine Issambourg sextet
samedi 23 août 2025 – Salle Notre-Dame 21h
Ludivine Issambourg, flûtes
Yoann Schmidt, batterie
Swaéli Mbappé, basse
Nicolas Derand, claviers
Sylvain Fétis, sax ténor
Vincent Aubert, trombone
Above the laws
Nous avons goûté des vins locaux avec la complicité musicale d’Alex Dutilh à 18h, mais là encore, ce soir, le velouté gouleyant s’affiche d’emblée, clavier, basse électrique, batterie qui envoie, et la puissance de la flûte traversière alto qui n’en oublie pas d’être aérienne pour The Bear d’Eric Legnini. La batterie de Yoann Schmidt ne cesse de ferruginer, clavier et flûte s’enchantent, trombone et sax battent la chamade. c’est généreux…
Dire que Ludivine fait danser sa flûte est un euphémisme, les contorsions de son corps sont la prolongation des variations de sa flûte, véritable plaidoyer pour l’énergie créative. Pensez aux explosions de fusées d’artifice et privilégiez le bouquet final mais en continu, éclats, virtuosité au service d’une constante fantaisie.
Le trombone de Vincent Aubert prend la main, maintenant les colorations, nerveux, dribblant les notes, et bien sûr, les uns entraînant les autres dans ces tourbillons furieux, éclatants ; le clavier de Nicolas Derand poursuit sa course, toujours étoffé. Ça pulse et c’est peu dire !
Le sax ténor de Sylvain Fétis frémit avec force comme quoi c’est possible ; Sylvain irrite son instrument à le décoiffer, il le frise, le suffoque, et on n’oublie pas le tempo parfait côté batterie et basse. Un New Morning.
Ludivine va alors par sauts et gambades, chemins insoupçonnés, glissades et escalades ; voyagez tant que vous vous pouvez, elle mène vos déplacements. La basse de Swaéli Mbappé assure impeccablement depuis le début, faut maintenir le cœur battant.
Magnifique survol au-dessus des nuages, trois oiseaux superbes de front, flûte alto, sax ténor, trombone linéaire. S’en échappe par moments Ludivine pour prendre de la hauteur davantage, allonger ses ailes, vol ascensionnel au son profond, planant, cherchant les courants afin de développer de belles courbes. Elle attire ainsi la douceur et l’onctuosité du clavier de Nicolas Derand et de la basse de Swaéli Mbappé , atmosphère ouatée, le clavier délicat joue alors la réverbération, il trace des sillons aériens multiples, belles traînées blanches dans le ciel, élégantes, émergeant sans cesse. La batterie de Yoann Schmidt varie habilement les propositions de chacun. La beauté est bien de ce monde, parfois.
Evidemment que ça funke, mais bien au-delà, le sextet franchit des sommets, travaille les crêtes, les découpe, leur rendant ainsi leur splendeur. Une batterie percu pour accompagner le groove de la basse au son constamment superbe, 120 battements/minute à eux deux, et plus et plus !
C’est la cavalcade pour Ludivine pendant que la batterie lui emboîte le pas, course pour les uns, langueur pour le sax ténor, et le trombone. Chaque instrument conjugue dextérité, brio – on choisira- et swing savamment découpé, recomposé, déconstruit, reformé. Trépidations savantes, un sax ténor phénoménal tout aussi superbement accompagné par une batterie aux effluves nucléaires flamboyantes, et fluide. Soyons honnête, basse et clavier ne sont pas en reste, évidemment…
Sacrés musiciens ! Musiciens sacrés !

Pierre-François Blanchard, Thomas Savy
dimanche 24 août 2025 – Basilique Notre-Dame-de-la -Fin- des-Terres 21h
Pierre-François Blanchard, piano
Thomas Savy, clarinettes
#Puzzled
Quelques notes, Pierre-François Blanchard regarde la voûte de la basilique, elle saura l’inspirer. La délicatesse pour commencer le voyage, brumes et vagues profondes au mouvement lent afin de se dérouler progressivement tel un chat en déplacement, Asmara. La clarinette basse de Thomas Savy tout d’abord en réponse attentive, en traduction, s’y insère.
Des matins somptueux à la douce brume se répandent sur le clavier. La clarinette prend son envol, fureteuse, toujours élégante, au son finement étiré, aux atermoiements soudains, Dancing in the snow. Le piano bruine.
Les angoisses (Fears) envahissent les touches du clavier de Pierre-François, haletantes, prolifiques. La clarinette de Thomas raconte leur enlacement, le tourment procuré, les affolements anarchiques, piano et clarinette complices de ce forfait, les sons s’atténuent et s’amplifient avec une extrême précision.
Une main droite au piano taquine pour chatouiller délicieusement la clarinette au début compatissante puis impertinente, valse, ballade désarticulée, remodelée. C’est par où ?
Le jazz raconte une histoire, il écrit une lettre ici, aux phrases soit tendres, soit plus virulentes, tant de choses à dire, d’émotions à traduire, de curiosité, d’étonnement, de récits que ces musiciens expérimentés à la complexité nous tiennent. Grandes envolées structurées pour le piano, des sentiments inavoués enfin épanchés, une joie à décrire des épisodes du quotidien, des frétillements, frémissements, les deux prolixes, aux ponctuations parfaitement communes.
Pierre-François Blanchard regarde à nouveau la basilique, une sensibilité extrême qui absorbe son environnement afin que le son choisi s’élève en communion. Afterglow nous dit-il, que l’amour dure comme un soleil qui se couche mais trouve alors une lumière incomparable, éphémère par son intensité mais durable dans la mémoire, et c’est cela que Pierre-François déploie dans une mélodie avec des accords tels des ondes qui se propagent, se nourrissant les uns des autres, élargissant peu à peu les frissons de l’amour qui doit composer sans cesse, de l’émoi premier aux variations dans l’espoir d’un infini. Il semblerait qu’il finisse tout de même sur une interrogation, un avenir suspendu… Une composition proustienne en solo.
La clarinette basse de Thomas Savy est de retour pour ce duo en écho, un thème pour que l’étrange, le sombre s’approchent du silence, et s’en éloignent en valsant lentement, les arabesques ralenties afin que la beauté apparaisse au détour, poésie à la Pré/Vert, hommage à Pierre Barouh, une ballade plus lointaine naît des mains magiques de Pierre-François Blanchard, entraînant dans son sillage la clarinette aux multiples expressions, grâce à un doigté et un souffle d’une exceptionnelle précision.
Pierre-François Blanchard aime composer des morceaux traducteurs de sentiments paradoxaux, prétexte à la richesse, à La Confusion, malgré une fluidité touchante, ici bonne humeur et humeur chagrine se côtoient, s’entremêlent ; graves appuyés de la main gauche de Pierre-François vers la main droite de Thomas. Faut-il rappeler le toucher remarquable de ce dernier.
Avec Tempêtes, l’espace prend des teintes inhabituelles, le temps change de rythme, il s’alanguit, s’émeut, s’emporte, la musique se mue en sensation.
A vous dirais-je maman, Mozart soulevé dans les nues, le rêve à peine éveillé, des accords attentifs à l’espoir, soucieux d’espérer que la liberté est encore à portée d’idéaux, atteignables. La clarinette l’appelle, sons longs en une longue prière, implorante dans sa montée dans les aigus. Quelques accords juste répétitifs au piano, la clarinette frémissante, quelques somptueux derniers souffles nous accompagnent, Lullaby for Freedom…
Par Anne Maurellet, photos Philippe Marzat