Tribute to Pierre Merlin

Par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier
A l’occasion de la sortie à compte d’auteur de son magnifique livre, nous avons rencontré le bordelais Pascal Ferrer, collectionneur de jazz et notamment de disques 25 centimètres ou 10 pouces, les fameux « Big 10 Ten Inch Record » chantés, non sans sous-entendu, par Aerosmith. Et quand on rencontre un tel passionné, pas besoin de questions, on pose le saphir dans le sillon et ça roule tout seul ! Il nous parle d’histoire du jazz en France, du graphiste bordelais Pierre Merlin et évoque sa collection.
Pascal Ferrer : Je me suis intéressé au blues dès la classe de 5ème grâce à un copain dont le père était amateur de blues et de jazz, il lui piquait quelques disques de Blues et on les écoutait. C’était à la fin des années soixante et début soixante-dix. Je suis ainsi tombé dans la marmite du blues et j’ai ensuite commencé à acheter mes premiers disques.
Etudiant en Droit à Bordeaux, j’achetais un disque par jour, un vrai virus. Il y avait de nombreux marchands de disques d’occasion, c’était le seul support matériel pour la musique. Durant cette période j’ai découvert le Blues Boom en Angleterre, le Blues de Chicago, du Sud, acoustique, les Blues Shouters … A l’époque où les jeunes achetaient les Beatles, les Rolling Stones moi c’était Muddy Waters et Howlin’ Wolf.
Au début des années 80 j’ai fait des émissions sur plusieurs radios libres à Bordeaux, notamment Radio Côte d’Argent « Maman j’ai le blues ce soir », et sur Radio Angora « Quoi de neuf Mister Blues ? ».
Même s’il fallait « gagner sa croûte » et privilégier une vie professionnelle et familiale, j’ai continué à acheter des disques de blues, cette boulimie d’achat n’a jamais cessé puisque je continue toujours d’acheter des vinyles !! mais beaucoup plus raisonnablement ……
Vers l’âge de 40 ans un ami musicien professionnel m’a offert un disque de jazz français d’Henri Crolla chez VEGA. Ce fut un déclic, et j’ai commencé à m’intéresser au jazz au sens large, ayant fait le tour du blues.
Curieusement je trouvais qu’il y avait un format formidable, les 25 cm. J’ai donc commencé à en acheter mais ils étaient déjà très rares. En effet certains exemplaires étaient tirés à 50 exemplaires, car ça ne se diffusait pas, il n’existait pas de réseau de distribution.
L’histoire discographique du jazz en France débute en 1936/37 avec la création des disques Swing par Hugues Panassié et Charles Delaunay puis en 1947/48 avec la fondation des disques Vogue par Delaunay, les deux compères s’étant définitivement fâchés. Charles Delaunay, fils de Sonia et Robert les deux célèbres peintres, devint un mécène éclairé, à l’abri de tout besoin financier. Il n’a jamais manqué de rien, il habitait un hôtel particulier, bénéficiait du chauffeur de ses parents, il a traversé l’Occupation sans problème, toujours informé et actif sur l’évolution du Jazz.
A l’inverse, Panassié retiré à Montauban était coupé du monde, il s’est enfermé dans un style de jazz figé sur l’avant-guerre, refusant de reconnaître l’évolution du Jazz avec le Bop. Cette attitude quasi sectaire est illustrée par les sobriquets de Boris Vian qui opposaient « Figue Moisie » et « Raisin Aigre ».
Delaunay part aux USA après la guerre, il passe des contrats avec les disques Dial – Commodore, les premiers 25 cm Vogue 33RPM sont publiés en 1952. Vogue réalise des rééditions d’albums américains dont Charlie Parker.
Le début des années 50 marque en France une période bénie sur le plan culturel, une soif de musique, de créativité et un besoin de liberté.
Entre temps Pierre Merlin, bordelais d’origine, vers la fin de la guerre rencontre Claude Luter et débute une carrière de cornettiste. Il était un musicien plutôt limité, mais ça jouait partout sans trop d’exigence. Charles Delaunay qui réalisait lui-même des pochettes de disques, il a dessiné le logo de SWING, des affiches, cherchait un graphiste, n’ayant plus assez de temps pour gérer toutes ses activités. Et dans le milieu musical du Jazz et des soirées de Saint Germain des Prés, il y avait un rigolo, un fêtard, qui dessinait, qui croquait toujours les musiciens, et c’est ainsi que Pierre Merlin s’est retrouvé à illustrer une bonne partie des pochettes de jazz du label Vogue entre 52 et 57. Ne s’étant pas adapté à la photographie il a ensuite cessé son activité d’illustrateur. C’était un personnage très insouciant qui n’a jamais pensé à protéger ses droits, au profit par exemple des éditions anglaises Vogue LDE qui échappent à tout copyright.
A titre personnel, je suis plutôt un amateur de be bop, avec une affection particulière pour les trios autour de pianistes. Le jazz plus moderne post 1970, je n’ai pas trop accroché, ayant toujours une certaine « résistance » sur le free. Au travers des disques 25 cms Vogue j’ai découvert le jazz français. Il faut dire que beaucoup de musiciens américains sont venus en France après-guerre pour notamment des raisons de ségrégation aux USA, séduits par leur condition de vie à Paris. Delaunay a eu le bon goût de faire enregistrer un certain nombre de ces musiciens sur son label.
D’autres allaient chez Barclay et on retrouve des choses absolument magnifiques sur ces labels, souvent tirés à très peu d’exemplaires. La distribution des disques chez les vendeurs se faisait la plupart du temps à vélo, comme Eddie Barclay et sa femme Nicole qui sillonnaient Paris, et quelques exemplaires étaient distribués dans de grandes villes. Ces produits culturels étaient horriblement chers, un 25 cm représentait presque 20 % du salaire mensuel d’un ouvrier de base. La rareté de ces disques leur a donné aujourd’hui un statut d’objets de collection et de convoitise.
L’objectif de mon livre, était de proposer un panorama des 25 cms de Jazz enregistrés en France, sous l’aspect du graphisme des pochettes, thème qui n’a jamais été abordé et publié.
Ce travail valorise la production discographique Française du Jazz entre 1952-1962, il cherche aussi à mettre en avant la qualité graphique remarquable de ces pochettes. De fait, du fait de l’absence de publication sur ce thème « pointu » à destination des collectionneurs de Jazz, et amateurs de graphisme, des éditeurs japonais me sollicitent pour faire une version dans leur langue, alors que la première édition est bilingue français, anglais.
En France je n’ai pas trouvé d’éditeur ! Ils ne comprenaient pas l’objectif du projet, son ambition. J’ai constaté que les éditeurs étaient exsangues financièrement et n’avaient pas la capacité, l’ambition à relever mon défi. Quand j’ai dit je veux une couverture « cartonnée », du papier glacé 160 grammes, des photos parfaites, les types n’ont pas compris et m’ont répondu laconiquement. « Vous ne le vendrez pas »……. J’ai donc pris à ma charge toute la réalisation de ce projet. J’ai tout pensé, je l’ai écrit, j’ai cherché une graphiste, un photographe, un imprimeur (Korus impression à Eysines), j’ai déposé les droits à la Bibliothèque Nationale, je m’occupe directement du site internet.
Dans ce livre, tout provient de ma collection personnelle à l’exception des trois affiches originales de Pierre MERLIN prêtées gracieusement par un collectionneur.

AJ : elle est complète ?
PF : En jazz français quasiment. J’ai expliqué l’environnement de l’époque, les acteurs principaux. Il y a eu énormément de littérature, de revues.
Django Reinhardt je l’ai mis à part parce-que c’est vraiment un musicien unique, une météorite dans le Jazz. Je parle des inclassables comme Boris Vian, Sim Copans un universitaire américain resté en France après la guerre et créateur du festival de Souillac, Henri Renaud pianiste pour lequel j’ai une affection particulière. Toute cette histoire du jazz en France s’est traduite par les premiers festivals de jazz en 1948 à Nice (Panassié) et à Paris (Delaunay). J’ai mis des documents quasi inconnus, que je conserve pour certains depuis 50 ans, j’en ai 65 aujourd’hui.
Des caricatures de Delaunay – Panassie par Chaput, des affiches, le premier numéro de Jazz Hot, des programmes, des photos inédites. A l’époque on trouvait difficilement ces documents, maintenant ils sont devenus introuvables.
AJ : la mise en page est superbe
PF : J’ai eu la chance de rencontrer Baharak GHAZI, une graphiste professionnelle bordelaise avec laquelle s’est nouée au fil de nos rencontres une vraie complicité. Baharak a perçu mon exigence, elle a su formaliser mes idées et à vite compris que nous prendrions le temps nécessaire. Cet ouvrage représente un an de conception et de travail en commun !! C’est elle qui a pris toutes les photos, qui les a détourées contrairement à 95% des livres. Pas une seule n’a été retouchée, les pochettes cornées ou avec un manque sont en l’état, que de l’authenticité. Baharak GHAZI a du talent, elle transforme vos idées en réalité graphique, elle a un véritable esprit créatif !

Nous feuilletons alors l’ouvrage et ses photos de disques 25 cm en pleine page (format du livre 30 x 30). On y découvre des musiciens inconnus ou méconnus mais aussi d’autres qui sont devenus célèbres, Martial Solal, Claude Bolling, Guy Lafitte, Maurice Vander, René Urtreger… et même un certain Sacha Distel remarquable guitariste avant de devenir chanteur de variété. On voit passer Henri Crolla, devenu guitariste et compositeur d’Yves Montand, pas rancunier que celui-ci lui ait piqué Simone ! Un disque de jazz d’Annie Fratellini avec un orchestre du tonnerre arrive par surprise. Un autre rarissime de Duke Ellington, très moyen paraît-il, enregistré à compte d’éditeur par « un type richissime » qui l’avait fait venir de New York en France pour une fête familiale chez lui !
La dernière partie de l’ouvrage zoome sur les pochettes dessinées par Pierre Merlin pour Vogue et son style reconnaissable entre tous. Toujours des personnages et des petits gags un peu déjantés, un cheval dans l’assistance, un personnage les pieds en l’air, un orchestre dans une grande baignoire. La pochette du disque de Max Roach en 1949 est remarquable, mais elles ont toutes une patte, un charme désuet. Trois affiches exceptionnelles faites à la main en 1942 par Pierre Merlin et prêtées à Pascal Ferrer sont en bonne place.
PF : Pierre Merlin avait fait l’école des Beaux-Arts à Bordeaux mais c’était un peintre raté, puis il est parti à Paris en 1942, il a joué du cornet avec Claude Luter au Lorientais et ailleurs. Sidney Bechet est arrivé et avec une telle exigence envers les musiciens que Merlin qui était un bricoleur, un bringueur mais pas un musicien, s’est fait dégager. Il a joué ensuite beaucoup de Dixieland dans des formations très moyennes.
Pascal Ferrer avec son franc-parler ne se prive pas de nous dire que tel disque était très mauvais, ou que tel musicien n’avait pas le niveau. Mais un collectionneur c’est un collectionneur !
PF : Sur cette pochette il y a un train car Pierre Merlin avait une passion, les miniatures de trains électriques et dans l’appartement que lui avait prêté Pierre Atlan leader d’un orchestre de Jazz Traditionnel, il a monté tout un réseau avec une reproduction de la gare de la Nouvelle-Orléans autour des années 1920. Il passait ses journées à fabriquer des locomotives, des gares, des rails des aiguillages.
Au début des années 60, il a participé à la fabrication des décors fantaisistes des émissions télé du producteur Jean-Christophe Averty qui l’avait engagé. Averty avait compris l’immense talent créatif de Pierre Merlin, il a su l’utiliser pour mettre en forme sa créativité audiovisuelle.
Oublié de tous, Pierre Merlin est mort à Paris en 2000 à 82 ans dans la misère, n’ayant jamais valorisé ses droits.
Pascal Ferrer est aussi passionnant à écouter que Pierre Merlin était un original attachant. Ce graphiste quasi inconnu dans sa ville où il avait exposé quelques tableaux en 1946 méritait d’être révélé au public. Et ce livre, dont une bonne partie le réhabilite, est aussi une occasion de découvrir tout un pan de l’histoire du jazz en France au milieu du XXe siècle. Quant à l’objet lui-même il est vraiment superbe.
Vous le trouverez au lien suivant : https://jazzcoversart.com/
Contact : pferrrer@hotmail.com
Cet ouvrage semble bien joli et passionnant. Merci Mr Ferrer de transmettre les histoires de tous ces passionnés!
Bel effort ,félicitations!
Merci Bob, tu as été de longues années durant « mon dealer de vinyles » !!:
S’il y avait un Pic de la Girandole du Jazz doublé d’un chineur ne cherchez plus c’est Pascal Ferrer, c’est un scalpel , doué d’une sensibilité extrême en Jazz et Blues de la période décrite.
Il a une mémoire phénoménale, il connait de tête des milliers de pochettes, et sait si la galette et bonne ou pas.
Merci pour ce merveilleux bouquin, qui est un mustissime dans toutes les bibliothèques des amoureux de Jazz.
Merci pour cet encouragement, il est effectivement nécessaire de partager et transmettre sa passion .
Merci cher Abraham pour ces compliments qui me touchent .
Intoxiqué du vinyle dès l’âge de 16 ans, j’ai tenté de me soigner mais à 65 ans la maladie court toujours !!
C’est un livre magnifiquement présenté et j’ai une immense admiration pour un collectionneur passionné.