FIJAM – Festival franco-italien de Jazz & Cinéma
Organisé par l’Association Notre Italie
La très active Association Notre Italie, qui existe depuis bientôt quinze ans, œuvre à faire partager sa passion pour la culture italienne et à entretenir des liens étroits entre la France et l’Italie. Déjà bien connue pour sa manifestation « Le Printemps Italien », désormais intitulé Le festival franco-italien de littérature & culture « FiLi », elle s’engage dans une nouvelle aventure avec le Festival franco-Italien de Jazz & cinéma « FiJam » dont le dessein est clair : Mettre en lumière le lien historique qui existe entre le jazz et le cinéma, tout en réaffirmant la richesse des échanges culturels entre la France et l’Italie.
Voici la présentation des trois étapes qui ont été proposées.
Première étape le jeudi 02 octobre au Cinéma « La Lanterne » de Bègles. Suite à l’accueil fort sympathique de la directrice Cécile Giraud, et à l’introduction de Stefania Glockner-Graziano, présidente de l’Association Notre Italie, a débuté la projection du film Blow-Up de Michelangelo Antonioni. Un très bel hommage rendu à Michelangelo Antonioni (né à Ferrare en Emilie Romagne), l’un des plus grands réalisateurs du 20° siècle et amateur éclairé de musique et en particulier de jazz, et à Herbie Hancock (né à Chicago), musicien de génie qui, tout jeune, écrivit la bande musicale de ce film. Une présentation de Blow-Up a été assurée par Patrice Lajus, professeur et auteur, entre autres, de plusieurs textes sur l’œuvre de Federico Fellini, et de la musique par Dominique Poublan rédacteur et chroniqueur à la Gazette Bleue d’Action Jazz. La projection s’est suivie d’un passionnant échange avec le public.
Deuxième étape le samedi 04 octobre au Cinéma de Mérignac, avec l’occasion d’écouter d’abord le Cosimo Quartet, lors d’un concert, célébrant le jazz sans frontières, grâce à une rencontre franco-italienne. Composition du groupe : Cosimo Boni (trompette), Thomas Bercy (piano), Olivier Gatto (contrebasse) et Giovanni Paolo Liguori (batterie). Ont ensuite été projetés deux documentaires traitants sans œillères des droits civiques aux Etats-Unis et du jazz créatif et rebelle des sixties. Inédits en France, ils sont l’œuvre de Gianni Amico, réalisateur italien engagé connu pour l’originalité de son travail, et sa passion pour le jazz. 1° film : « Nous insistons ! Suite pour la liberté, maintenant » – “Noi insistiamo! Suite per la libertà subito” (1964, 16’), 2° film : « Notes pour un film sur le jazz » – “Appunti per un film sul jazz” (1965, 35’). Présentation et animation du débat assurées par le musicien de jazz Andrea Glockner, ainsi que par Stefania Glockner-Graziano et Dominique Poublan déjà cité.e.s.
Troisième étape le dimanche 05 octobre à Talence « Le Dôme » où il s’est agi d’une conférence sur le jazz et le cinéma par Xavier Daverat, professeur en droit privé, suivie de la présentation du Jazz Club de Ferrara « Le Torrione » par son président Federico D’Anneo. Enfin, sympathique conclusion du festival avec « C’est à vous… Quiz Jazz et Cinéma ! » et une succulente « assiette italienne » !
Découvrez maintenant le compte-rendu de cette première édition.

Jeudi 2 octobre – Cinéma de Bègles
« Blow – Up » de Michelangelo Antonioni, musique de Herbie Hancock
Vu la qualité de la programmation du cinéma La Lanterne à Bègles situé entre le Cours Victor Hugo et les boulevards, nous ne sommes pas surpris d’y assister à la projection de Blow Up d’Antonioni et la discussion qui s’en suit.
Deux premiers morceaux se glissent d’emblée dans le générique graphique. Herbie Hancock n’a que 26 ans quand sort le film et le groupe The Yardbirds, 3 ans d’âge. L’utilisation de la bande son s’inscrit le plus souvent comme le seul langage possible pour accompagner la sensualité des femmes. C’est en effet, un jazz voluptueux qu’Hancock privilégie ici, traductrice d’une séduction non déclarée, avec une batterie effleurée par ses balais. Deux mondes se superposent, l’un futile, l’autre manifestant, deux types de musique pour les restituer.
La caméra ne cesse de capturer l’image par tous les angles comme une volonté de cerner le photographe qui lui-même capte les morceaux du réel incessamment, gros plans après gros plans rendant le réel de plus en plus incertain. Un découpage qui renvoie à celui des récits du Nouveau Roman. On dirait une immersion implacable à l’intérieur d’une caméra, au cœur de son optique comme une recherche effrénée d’une vérité finalement impalpable. C’est peut-être le rôle de l’art et son ambiguïté, traduire, trahir donc, mais ne pas se suffire de ce que la société propose. Traquer le réel, vouloir le représenter, passer alors par le phantasme, le désir, la mort.
Cette radiographie d’une pellicule garde toute sa modernité aujourd’hui. Certes, 1966 est interrogée par la jeunesse de l’époque en quête d’une liberté (laquelle ?) mais la matière, autrement dit la façon de filmer d’Antonioni dans Blow up n’a pas d’âge. Au contraire, elle paraît résolument moderne.
L’art semble aussi faire découvrir que le réel est là où on ne l’attend pas, au détour de l’œuvre d’art qui, sans le maîtriser forcément, fait apparaître, révèle une réalité. L’art est-il un simulacre ou la sublimation du réel ?
Par Anne Maurellet
Samedi 4 octobre – Cinéma de Mérignac
- Concert Cosimo Quartet

Le Cosimo Quartet est mené par Cosimo Boni, un trompettiste et compositeur italien, tombé à onze ans dans la marmite magique du jazz. Après s’être délecté des musiques de ses mentors Miles Davis, Ornette Coleman et Wayne Shorter, il est parti étudier à Boston au Berklee College of Music dont il est sorti brillamment diplômé. Ce séjour américain lui a permis de côtoyer de grands noms du jazz, notamment à Boston et New-York. Il s’est aussi produit en divers autres pays de la planète et le voilà aujourd’hui parmi nous, entouré de Giovanni Paolo Liguori (batterie), très ardent musicien de la scène italienne, et de Thomas Bercy (piano) et Olivier Gatto (contrebasse), deux figures majeures du jazz en Nouvelle-Aquitaine et même au-delà, le second étant d’ailleurs lui aussi un « ancien » du Berklee College of Music, ça fait donc un partout dans cette rencontre franco-italienne !
Il n’y a pas de frontières pour le jazz qui, comme d’autres musiques, s’exprime d’un langage en « espéranto », immédiatement compréhensible en tous lieux, sauf ceux où il est empêché, voire considéré subversif. L’une de ses clefs est la liberté d’improviser de thèmes en thèmes, ce que nous ont offert ces remarquables musiciens, des frères baptisés à l’élixir de notes bleues.
Cinq morceaux choisis ont ainsi défilé dans des tempos variés, parmi lesquels quatre standards racontant chacun un fragment de l’histoire du jazz afro-américain plutôt engagé, ce qui formait une possible introduction aux deux documentaires qui allaient suivre le set. En effet, avoir repris « Bemsha swing » (Thelonious Monk), « Beatrice » (Sam Rivers), « Alone together » (Howard Dietz, Arthur Schwartz) et « When will the blues leave » (Ornette Coleman) représentait un bel hommage à certains de leurs auteurs, dont l’engagement pour diverses luttes et en particulier celle pour la défense des droits civiques des Afro-Américains, n’a jamais fait le moindre doute. A cette magnifique sélection est venue s’ajouter « Pagan solemnity, une composition du trompettiste emplie de sérénité, tirée de son excellent album « May Be (Unable to Return) ».
Une chose est sure, ce jazz magnifique a séduit l’attentif public, que nous aurions cependant aimé plus nombreux. Les musiciens ont donné le meilleur de leur science, de l’énergie et surtout un amour intact à ces pièces qu’ils connaissent si bien, en les parant d’une couleur actuelle, tout en faisant naturellement ressortir à chaque fois la profondeur du message. Était enfin perceptible une certaine urgence parfaitement maîtrisée dans le déroulé du set, ce qui lui a donné un tempo particulier, et une force que le timing de la soirée n’a pu qu’à peine contenir. Un concert idéal pour introduire au mieux la suite du programme.
Nous aimons votre jazz messieurs, passionnément ! Merci et bravo !

- Documentaires de Gianni Amico, inédits en France
Judicieusement choisis et sous-titrés par l’Association Notre Italie, les deux documentaires qui ont suivi sont inédits en France, et proviennent de la Cineteca di Bologna. Ils nous ont téléportés soixante ans en arrière, à une époque où diverses luttes sociales s’étaient déjà engagées depuis le début des sixties, parallèlement à l’émergence d’intenses courants créatifs musicaux, notamment celui du free-jazz. Ils sont l’œuvre de Gianni Amico, réalisateur, documentariste, scénariste et animateur italien engagé, connu pour la libre originalité de son travail, et sa passion indéfectible pour le jazz.
Les projections ont ainsi débuté par celle du film « Nous insistons ! Suite pour la liberté, maintenant » – “Noi insistiamo! Suite per la libertà subito” (1964, 16’), qui s’est inspiré de « We Insist ! Freedom Now Suite », disque de Max Roach sorti en janvier 1961 sur Candid Records, qui constitue une déclaration des droits du free-jazz et du mouvement des droits civiques des Afro-Américains. Ce film est clairement dédié à Max Roach et à Charlie Mingus, ainsi qu’à tous les autres musiciens de jazz des années à l’avant-garde de la lutte pour la liberté de la race noire ». Sur fond de cette musique de très grande force et du chant de souffrance d’Abbey Lincoln, l’épouse d’alors de Max Roach qui la soutient de son drumming, défilent des images insoutenables où l’on voit tour à tour défiler des membres du Ku Klux Klan, des supplices, pendaisons, blessures, cicatrices… Suivent celles des manifestations, les arrestations, puis les touchants regards d’enfants noirs, tristes et résignés, tout de blanc vêtus, fleurs à la main …
Puis viennent celles de l’Afrique, superbes vues de plage et de palmiers, sur fond de paroles émouvantes. « La plage a une riche et magnifique histoire. Riche d’aventure, d’excitation et de mystère… Une partie amère et une partie douce… ». Beaux portraits mouvants de femmes, porteuses de panières… « On dit que cela a commencé avec un chant et un hum. Et une main noire posée sur un tambour autochtone ». Les images défilent, accélèrent le rythme, et le chant s’accentue. L’Afrique dans tout sa beauté et son énergie vitale.
Un peu plus loin, d’autres scènes surviennent alors, le jour de la liberté ? « Ils disent que nous sommes libres. Des rumeurs circulent, ça doit être des mensonges. Est-ce vraiment possible ? Je ne peux pas l’imaginer. Je ne peux pas y croire. Mais c’est ce qu’ils disent. Esclave, plus jamais. C’est le jour de la liberté…Tous ceux que j’ai vus disent que c’est vrai : nous sommes libres. ».
Enfin, au-delà des mots, la force de ce premier film, c’est aussi sa bande originale, et les extraits du disque, qui appuient avec une saisissante précision ces textes et images. Des titres explicites : « Driva’man », « Freedom Day », Triptych : Prayer/Protest/Peace », « All Africa » et « Tears For Johannesburg ». Au final, c’est un bouleversant manifeste, dont la beauté tragique du message nous a laissés sans voix et très tristes, d’autant que soixante après, sa projection demeure indispensable et doit être inlassablement reprogrammée, car la lutte continue…
Le second documentaire projeté est « Notes pour un film sur le jazz » – “Appunti per un film sul jazz” (1965, 35’). Il a été tourné pendant le VIIème Festival International de Jazz de Bologne les 12 et 13 mai 1965, où ont été captés des apparitions scéniques et ou des extraits d’entretiens avec Don Cherry, Steve Lacy, Mal Waldron, Annie Ross & Pony Poindexter, Johnny Griffin, Gato Barbieri, Ted Curson et quelques autres figures marquantes. Tous ces artistes visionnaires, déjà très en vue à l’époque grâce à leur créativité et pour le nombre de voies nouvelles qu’ils ouvraient sans limite, sont devenus des icones d’un jazz libre, toujours aussi grisant aujourd’hui. Les écouter s’exprimer dans ce film, éclaire beaucoup leurs points de vue à cette époque, sur la musique, sur la société, en particulier américaine. De plus, il est intéressant de préciser qu’à ce moment-là, le réalisateur et ces musiciens ont tous la trentaine, naissante ou finissante, c’est en fait l’histoire d’une génération.
Le film est rythmé par des phrases qui fusent, des sourires et commentaires, soulignés par des extraits musicaux tout aussi improvisés, lors des balances ou en concert. Fraîcheur de ton jubilatoire, par exemple lors du débriefing de Don Cherry et ses amis, à la sortie d’un set de son quintet, c’est comme si nous y étions !
Voici quelques extraits marquants où chacun se livre à cœur ouvert, par exemple Don Cherry qui confie dès son arrivée, après avoir parlé de Sonny Rollins « …J’ai envie d’écrire un morceau sur ce festival ! ». Un peu plus loin, il s’exclamera en riant « Tous les fils de Dieu ont une trompette ! ». Enfin, à la question « Comment sentez-vous la musique ? », il conclura « …Les oiseaux avaient la musique avant nous. Elle ne nous appartient pas. …La musique est la vraie évidence de l’existence de l’esprit, parce que c’est une chose que l’on ne peut ni voir ni goûter ».
Quant à Steve Lacy, il nous dit « Jazz is my life. C’est ce dont je remplis ma vie, c’est ce qui construit le temps et rassemble les gens…C’est l’objectif principal de la musique, de réunir les gens ». Quand on lui demande « Que représente Monk dans votre vie et votre musique ? », il répond « C’est une question d’amour, c’est la musique que j’aime. Le jazz est une question d’amour… » mais se plaignant tout de même « …8 ou 9 ans que personne ne joue la musique de Monk. Et encore aujourd’hui, personne ne joue sa musique… ». Puis il annonce en concert « Maintenant, nous allons jouer « Epistrophy ». Comme quoi…
Ce sont les propos de Mal Waldron qui se rapprochent le plus de l’esprit du premier documentaire. « J’ai joué avec Max Roach et Charlie Mingus. Leur musique était un genre de protestation contre les relations entre les blancs et les noirs en Amérique…contre ces conditions…qui n’existent pas ici en Europe ». Il ajoute un peu plus loin « Je pense aussi que des musulmans noirs ont aussi aidé les noirs à devenir plus conscients des problèmes en Amérique, à les combattre ». Et puis à la question « Es-tu un musulman noir ? » il répond « Non, mais je sympathise avec les musulmans noirs ». Enfin, comme beaucoup d’acteurs du monde du jazz, il déclare être absolument contre la mort de Malcom X.
Entre-temps, le film permet aussi de déguster quelques notes d’Annie Ross & Pony Poindexter, d’autres furtives de Johnny Griffin, lequel sera surpris plus tard en grande discussion technique avec Gato Barbieri, à propos de …saxophone !
Des images de karting indoor circulent avant le témoignage poignant de Ted Curson, visiblement marqué par la mort d’Eric Dolphy en 1964, l’un de ses mentors, auquel il dédia son album « Tears for Dolphy », paru en fin de cette année. Là encore, voici quelques morceaux choisis. « Le jazz c’est tout pour moi… J’aime le jazz, parce que c’est la seule chose qui me donne de l’assurance. En tant qu’homme noir, c’est mon unique liberté …C’est la liberté d’expression quand un homme dépasse son instrument… Il faut essayer de jouer le plus possible. Pour moi le jazz est la liberté totale ».
En guise de conclusion, il commente un extrait live de son disque « Tears for Dolphy ». « Eric Dolphy, c’est ça ! »
La fin de ce documentaire poignant est très mélancolique, la fête est finie. Les musiciens marchent dans la ville avec leurs instruments et se dirigent vers la gare. Puis les voici sur les quais, et c’est le départ. Bye bye Bologne !
Par Dominique Poublan (Alias Dom Imonk), photos Alain Pelletier « tamkka »

Dimanche 5 octobre – Talence (Dôme)
Conférence Jazz é Cinéma Xavier Daverat
Présentation du Jazz Club de Ferrara « Le Torrione » de Federico D’Anneo
Le festival s’est conclu le dimanche 5 avril au Dôme de Talence avec une conférence M. Xavier Daverat, professeur émérite de l’Université Michel-de-Montaigne et spécialiste de jazz, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. Il a captivé les 45 personnes présentes avec une conférence passionnante sur le jazz et le panafricanisme, prenant pour point de départ la musique de Max Roach, déjà évoquée la veille et abordant les thèmes de la solidarité avec l’Afrique, du jazz comme expression du nationalisme noir, des effigies africaines en tant que symboles culturels, ainsi que de l’esthétique afro-centrée qui valorise les racines et les identités africaines.
L’après-midi s’est poursuivie avec la découverte du Jazz Club « Le Torrione » de Ferrare en Emilie Romagne – région jumelée avec la Nouvelle Aquitaine – grâce à un documentaire sous-titré par l’association et retraçant son histoire au fil des siècles jusqu’à sa transformation en l’un des plus grands clubs de jazz d’Europe. Son directeur Federico D’Anneo était en ligne et a montré beaucoup d’enthousiasme à l’idée d’approfondir les relations entre nos deux régions jumelées dans les années à venir.
Le festival s’est achevé dans la convivialité autour d’une assiette italienne et de spécialités préparées par les membres de l’Association Notre Italie.
Par Stefania Glockner-Graziano et Stéphane Glockner, photos Association Notre Italie
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