Les Nuits D’Hure 11, 12 et 13 septembre, 3 nuits de Jazz à la campagne

Des scènes atypiques sur lesquelles la note bleue se pose, il n’y en a pas tant en France ! Le théâtre antique de Vienne et sa vue sur le Rhône, Juan-les-pins et l’azur en rideau, Sète et la grande bleue comme un tableau mouvant, Respire Jazz en Charente et les murs lézardés de l’abbaye de Puypéroux… j’en oublie certainement ! Désormais il y a les Nuits d’Hure et la porte du fond du séchoir à tabac. Original comme arrière-scène, et ce n’est pas le petit bonhomme du bloc secours vert qui accroche le regard, qui me contredira. Lui aussi fait partie du décor authentique de cette nouvelle adresse jazzy en sud Gironde.

Jeudi 11 septembre 2025

Jérôme Masco Quartet

Jérôme Masco, saxophone ténor
Joanna Esteves, saxophone baryton
Nolwenn Leizour, contrebasse
Nicolas Girardi, batterie

19h45 : le quartet démarre par un duo de saxophones, ténor et baryton.

Anecdotique démarrage d’un concert et d’une soirée de contrastes.

Jérôme MASCO est le régional de l’étape comme dirait un commentateur du Tour de France. Vivant à deux pas d’Hure, le saxophoniste qui s’est fait un nom dans les formations bordelaises comme Yoshiwara ou Robin & the Woods, a l’honneur de lancer la 2nde édition des Nuits d’Hure.  https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/confine-avec-jerome-masco/

Ce jeune saxophoniste prometteur a sorti son premier album studio, « Seeking Directions » en novembre 2024 qui sera mis à l’honneur ce soir. A côté des compositions originales tirées de ce projet enregistré à deux saxophones, le groupe rendra également hommage aux instrumentistes de légende comme Stan Getz ou Benny Golson, mais surtout Gerry Mulligan dont Jérôme s’inspire particulièrement.

Le quartet repose sur l’incontournable Nolwenn Leizour à la contrebasse et Nicolas Girardi, compère de Robin & the Woods à la batterie, rejoints par Joanna Esteves au baryton.

Cette jeune saxophoniste de l’Entre-deux Mers empoigne cette tuyauterie cuivrée, presqu’aussi grande qu’elle avec force et douceur à la fois. 

Le son organique du quartet résonne bien dans l’enceinte de bois brut. Pas d’amplis, pas d’effet, juste le souffle, les doigts sur les cordes, les baguettes contre les peaux. C’est exactement le bon format, d’abord parce que la taille de la scène est limitée, mais aussi car ce son direct accentue davantage l’intimité que la proximité avec le public installe.

Le contraste de la playlist, passant du swing de Mulligan aux compositions contemporaines de Jérôme, entre en résonnance avec le contraste du lieu et de sa destination originelle.

De nombreuses influences se mêlent dans le jeu du quartet, de la tradition du cool swing au free jazz avant-gardiste.

« Lone riot », littéralement « manifester tout seul » débute le set suivi de « I know don’t know how » de Gerry Mulligan, du pur cool sur lequel Nolwenn et Nicolas envoient respectivement des chorus de contrebasse et de batterie. Suivent la compo originale « Bring us back the train » et « Comfortably numb » de David Gilmour, une incursion dans le rock progressif, deux titres présents sur l’album.

Les morceaux s’enchainent et Jérôme donne quelques explications sur ses titres et ses inspirations ; « After tomorrow », ou l’espoir que le monde d’après-demain soit mieux et plus musical, poursuit le set. « Waiting for the big night » débute par une intro de Nolwenn. Cette ballade au tout en contrepoint est rythmée aux mailloches et à mains nues.

Jamais à cours d’anecdotes et de facéties, Jérôme et ses complices clôturent leur set par « Oh mon entorse » un titre au démarrage foutraque comme un accident, une chute, un chaos et, après un gros solo de batterie, c’est comme une rechute, une nouvelle luxation ?

Le propos est vraiment écrit pour deux. C‘est une musique faite pour le duo ; bien plus qu’un dialogue de deux saxophones, ici chacun soutient et enrichit la ligne de l’autre, sans rivalité.

« Seeking directions » a trouvé sa voie. Né dans les racines d’un terroir où le swing de Mulligan réussit à germer, Jérôme Masco fait éclore une expression nouvelle, singulière, sans prétention et pétrie d’humour. La salle apprécie ce cocktail apéritif.

20H55 fin du premier set, mais reprise des grignotages. L’équipe de sympathique bénévoles, tous de rouge vêtus, vendent saucisses, merguez, jambon cuits à la braise, accompagnés de frites, d’huitres et d’une cuvée Nuits d’Hure du château Trimoulet St Emilion 2019, à consommer avec… qui vous voulez.

Bien rassasié, le public regagne les places pour le second concert qui débute à 21h45.

Térez Montcalm en duo avec Jean-Marie Ecay

Térez Montcalm, chant et guitare
Jean-Marie Ecay, guitare

Jean-Marie Ecay démarre seul. Ce voisin du Pays basque a fait le tour de la planète jazz et variété au bras de sa guitare, à l’instar des ancêtres qui le faisaient sur de frêles esquifs à la recherche des baleines.

Le son de Jean-Marie est toujours élégant, chaud, riche, musical et accessible, tout à son image.

Le premier morceau n’a pas de titre ; c’est une improvisation sur quelques idées qui seront sur un prochain projet. L’harmonie est prometteuse.

Le second est plus bluesy, histoire de réchauffer un peu la salle avec les handclaps qui s’élèvent et la pédale re-recording qui fait sensation.

Térez Montcalm restée au bas de la scène, l’encourage à faire monter le thermomètre.

Le courant passe bien entre ces deux-là qui jouent ensemble depuis des lunes.

Les 2 artistes ont sans doute en commun l’exigence d’un art épuré et sincère qui vogue sans complexe entre blues, folk et jazz, entre chanson française et standards américains.

La signature vocale de Térez, artiste québécoise à la voix fêlée n’est pas seulement sensuelle, car s’il suffisait d’avoir une voix un brin rocailleuse pour avoir du talent, beaucoup pourraient réussir ! Non, Mme Montcalm est une grande voix car sa personnalité musicale est capable de faire sonner les mots, les rimes, les phonèmes avec une originalité sans égal, en français, comme en anglais, en jazz comme en chanson. 

Également guitariste, elle tire aussi son inspiration et son répertoire de la soul, des standards de la Motown, Marvin Gaye, James Brown, autant que des grande du jazz Billie Holiday, Shirley Horn ou du rock comme Jimi Hendrix, Johnny Winter.

Tombée en amour pour le chant, la guitare et la contrebasse, elle enregistre ses premiers projets en 1994, puis « Voodoo » (2006) et « Connection » (2009) se classent parmi les meilleures ventes jazz en France, qui la reconnait comme une des rares vocalistes féminines francophones dans ce registre jazz, soul, blues. La consécration dans l’hexagone arrive avec l’album « Quand on s’aime » (2015) enregistré en français, où elle collabore avec Géraldine Laurent (saxophone), Jean-Marie Ecay (guitare), Christophe Wallemme (contrebasse), Pierre-Alain Tocanier (batterie) et Camélia Ben Naceur (piano). 

Adoptée pour sa personnalité, sa voix et ses adaptations si personnelles, elle vit majoritairement en France depuis une quinzaine d’année. Invitée cet été au festival Jazz à Vienne, elle livre ce soir un répertoire à son image, multicolore, français, anglais, reprises, compositions originales…

« Love », le célébrissime standard de Nat King Cole fait décoller le concert, suivi par « I’ll be there » en anglais, ou si vous préférez « J’attendrai » immortalisé par Clolo. Vous voyez, c’est éclectique, non ?

Tout pareil, sur « Autumn leaves » elle débute en anglais et poursuit en français. Pas faux, les feuilles mortes ne vont pas tarder à se ramasser à la pelle.

Contrairement au quartet précédent Térez est bien loin de son Québec natal, mais sous les étoiles, la Garonne peut bien prendre des allures de Saint Laurent.

L’auteur de « dieu est un fumeur de Havane », est mis à l’honneur dans le séchoir à tabac avec une version toute en sensualité de « Black trombone ». Gainsbourg aurait surement apprécié son phrasé unique, décalé, sa façon bien à elle de marteler le texte ou de le susurrer rendant ses reprises toujours intéressantes, charnelles et touchantes.

C’est encore le cas avec « My funny valentine », tout en sobriété, dont l’arrangement un peu bluesy, donne douceur et mélancolie à cette version.

« Better night » composition originale de l’album « Step out » précède « Song for you ». « Fever » dans la version française écrite par Nougaro, « Docteur » finit le set.

En rappel, « Sweet dreams » de Eurythmics et « Je n’attendais que toi » titre composé par Aznavour pour Piaf. La môme ne l’aura jamais interprétée, mais la Montcalm en fait son titre « star », récompensée par l’ovation de la salle totalement remplie.

Faire d’un hangar agricole un club de jazz, c‘est singulier, presque provocateur et peut-être une forme de retour aux sources populaires de cet art, mais dans tous les cas, ce contraste culturel et une belle idée pour réchauffer et colorer cette soirée de septembre un peu fraiche. La première nuit d’Hure 2025 se termine, laissant le noir silence du soir recouvrir l’énergie et les notes d’une soirée réussie.


Vendredi 12 septembre

Matthieu Chazarenc Quartet

Matthieu Chazarenc, batterie, chant
Christophe Wallemme, contrebasse
Sylvain Gontard, bugle, percussions, chant
Laurent Derache, accordéon

Batteur, compositeur et arrangeur français né à Agen, Matthieu vient lui aussi en voisin pour la seconde nuit d’Hure 2025.

Sa carrière, saluée pour sa polyvalence, son engagement pédagogique et son style unique commence au Conservatoire de Pau, puis passe Nancy au célèbre CMCN dont il sort major de promo.

Après quelques séjours à New York avec des batteurs comme John Riley, Kenny Washington, Jeff Ballard ou Ari Hoenig, il remporte un Premier Prix au Conservatoire de Toulouse avant d’intégrer celui de Paris sous la direction de Daniel Humair… Premier Prix encore, avec félicitations.

Son parcours professionnel l’amène à collaborer avec des figures du jazz (David Linx, Ibrahim Maalouf, Paolo Fresu…), de la chanson (Olivia Ruiz, Charles Aznavour), et en tant que leader il sort trois albums : « CANTO » (2018), « CANTO II : Cançon » (2021), et « CANTO III » (2024).

Pour les « titres », c’est un peu facile, on est d’accord ! Côté style, côté compos, Matthieu façonne un jazz joyeux, lumineux, mêlant musiques populaires du Sud-Ouest et influences latines.

Le quartet Canto réunit Christophe Wallemme (contrebasse), Sylvain Gontard (bugle, percussions), et Laurent Derache (accordéon). Le dernier opus, « CANTO III », poursuit l’exploration de racines méridionales, de mélodies tourbillonnantes, parfois nostalgiques, tout en offrant une grande part à l’inspiration au moment des chorus.

La scénographie du concert, subtil mélange de ballades nostalgiques, de titres où la virtuosité d’ensemble et les solos lyriques, laissent la priorité à la narration et à l’amitié complice unissant les membres du quartet.

Matthieu lui aussi revient à ses racines vitales, à la terre à l’essentiel. 

Canto III est le fruit de sa rencontre et de son travail avec ses fidèles compagnons de route Christophe, Sylvain et Laurent le picard à l’accordéon, ce dernier apportant la virtuosité du musette à un jazz populaire, chantant, accessible.

Matthieu drive impeccablement son groupe mais ne se met jamais trop en avant. Seuls ses balais, fabrication maison de papa Chazarenc, pendant quelques brins, se font remarquer.

Très organique là-aussi, le son sans artifice colle au contexte, autant que le propos musical et celui du leader qui séduisent le public, venu remplir la salle ce soir aussi. 

Chazarenc chante, joue à mains nues, Sylvain l’accompagne au chant et aux percussions et le quatuor de men in black, sobre et élégant, accélère le tempo.

Le bugle prend le train imprimé par la rythmique et Sylvain Gontard sort les tripes de son bugle, instrument d’un naturel plus doux, d’habitude.

La mélodie, soutenue par la contrebasse de Christophe Walleme qui entame un chorus, est rejoint par l’accordéon et « Canto » prend tout son sens, tant le la parte belle est faite à la mélodie et au lyrisme plus ou moins retenu du propos. Les instruments chantent véritablement aussi. 

Matthieu prend la parole ; il raconte les huit ans de complicité avec ses musiciens et son pincement au cœur en arrivant à la gare de la Réole ce matin. Des souvenirs de son premier concours de batterie, à La Réole, à l’âge de Six ou sept ans…

Les titres de ses morceaux importent peu, il n’en donne quasiment pas mais les mélodies s’enchainent comme une série de petites histoires, toutes racontées avec autant de sensibilité que de force et de passion. Notons « Lagun », ami en basque, sobrement dédié à Sylain Luc qui est un titre présent sur le CD « Canto III». Sylvain Gontard, qui ne s’arrête plus de jouer des perçus depuis que Matthieu lui a demandé ce petit coup de main rythmique, soutient un rythme entêtant joué par l’accordéon, puis il reprend le bugle pour déclamer une mélodie majestueuse sur le tempo vif et syncopé repris en cadence par le public.

La culture musette de Laurent Derache, que Matthieu se plait à louer, montre bien qu’il ne devrait pas y avoir de frontières en musique, à partir du moment où celle-ci à quelque chose à raconter à l’âme de celui qui sait écouter.

Une vale, « Rue Marcel », (à Pantin), témoigne de cette volonté ne pas enfermer les instruments, les styles, les notes et les musiciens dans un format réducteur et sclérosant. Le solo de batterie est joué avec tout un éventail de moyens ; mailloches, mains nues, baguettes, balais et même frappes sur le corps. Le tempo enivre et la musette est pleine, la valse ne tourne plus tout à fait rond, mais le trio reprend le cours du récit, comme un équilibriste se rétablirait sur la corde tendue, remettant l’accordéon au cœur de cette discussion à quatre.

Le morceau suivant sonne comme une chanson italienne qui partirait en swing.

Pour finit le set, le quartet de Chazarenc insiste sur l’ancrage territorial du sud-ouest. Lui qui a enregistré chez un certain Francis, compatriote célèbre du côté d’Astaffort au sud d’Agen, ne pouvait cacher plus longtemps son amour du terroir, pour ceux qui l’auraient ignoré. « Mascagne », traduit par son compositeur « bordel un peu gascon », titre présent sur le premier album, précède « Se canto », l’hymne d’ici et l’hommage aux racines gasconnes, repris en chœur par les spectateurs. Quelle belle mélodie pour un dialogue accordéon-bugle.

Les deux généreux rappels finissent d’embarquer les spectateurs dans cette fête de la musique. « Sous les ponts de Paris » dédicacé à Thierry, le maitre des lieux, donne à tout le monde l’occasion de fredonner le thème. Le souffle swing de Gontard est d’une grande élégance sur cette fameuse ritournelle. L’accordéon lui répond avec complicité ; il joue forcément dans son jardin sonore.

Sans y faire allusion directement, Matthieu rend hommage à Charles Aznavour avec lequel il a travaillé en finissant le concert par « La bohème ».

Marie Carrié Quartet

Marie Carrié, chant
Yann Penichou, guitare
Didier Ottaviani, batterie
Laurent Vanhée, contrebasse

Marie Carrié s’est imposée sur la scène jazz hexagonale par sa voix expressive, son phrasé swing, et sa capacité à passer du jazz à la musique brésilienne avec aisance. D’origine antillaise, la native de Montauban, commence par le piano puis choisit le chant, influencée par Sarah Vaughan, Billie Holiday et Carmen McRae. Depuis 2008, elle se consacre totalement à la musique, multipliant collaborations et albums, dont le dernier « The Nearness Of You ».

Les arrangements, signés Yann Penichou (guitare), s’appuient sur une rythmique de haut vol que Didier Ottaviani (batterie) et Laurent Vanhée (contrebasse) assurent à la perfection. Cet été, elle a embrasé la scène du festival d’Andernos. https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/andernos-jazz-festival-2025-jour-2/

Dans son répertoire, Marie Carrié rend hommage au jazz vocal, de Billie Holiday à Ella Fitzgerald, en passant par Gershwin, Mingus ou Monk et intègre les compositeurs brésiliens, mais aussi un certain Claude Nougaro. Swing impeccable, scat élégant, Marie séduit par sa musicalité, sa finesse et l’expressivité de son phrasé.

Parmi les titres interprétés ce soir, « Let’s live again » de George Chering où la guitare et la contrebasse évoluent en solo, et des standards comme « What a little moonlight can do », « Sometimes I’m happy, sometimes I’m blue ». Les compositions brésiliennes de Djavan « Maria das mercedes » et « Eu sei que vous te amar », « Rio », « Embola a bola » colorent le set aux accents plus chauds du Brésil. « Cécile » de Nougaro et le redoutable tempo d’ « Indifférence » version André Minvielle (« la vie d’ici-bas ») viennent ponctuer en français, un voyage musical entre New-York, Rio et Toulouse.

Le set est un concentré de classe : swing entrainant, scat mélodieux, beaux chorus de guitare, mis en valeur par la solidité de l’attelage contrebasse et de batterie.

Cette seconde soirée aura aussi tenu toutes ses promesses.

Félicitations et mercis renouvelés à Thierry et Nathalie pour leur accueil, aux bénévoles pour leur dévouement et longue vie à ce festival en herbe, et dans l’herbe.

J’ai envie de dire… pourvu que cela d’Hure, le plus longtemps possible.

par Vince, photos Philippe Marzat

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