DIMANCHE 21 SEPTEMBRE 2025

11 h – Eglise de Trois-Palis
Sylvain Kassap
Je ne sais pas où est parti le regard de Sylvain Kassap mais trois secondes de concentration ont suffi pour que la clarinette souffle imperceptiblement dans une lande, à moins que l’église n’inspire le temps de la méditation. De multiples courants à la discrétion remarquable, frémissements variés, toucher de bambou, herbes ondulantes, éveil d’une nature insolite. Des virages délicats du son, contournements, passage de l’obscur à la lumière, des lumières, et la naissance progressive s’un blues détourné, Saint James infirmary, puissant ET aérien. La clarinette frisotte, se contorsionne, une respiration circulaire pour épuiser tous les possibles, peut-être chercher ce que le souffle peut encore quand il s’exténue.
Les oppositions sont pleines, les sons atténués sont d’une délicatesse infinie. La maîtrise de la clarinette au service de morceaux revendicateurs. Irritation de l’instrument, ses élancements, ses courbes, ses flèches. Sylvain lit un poème du poète palestinien Mahmoud Darwich qui commence par « Ici, entre les débris des choses et le rien, nous vivons dans les faubourgs de l’éternité » et se termine par « Nous sommes vivants et présents…et ce rêve se poursuit. » …
Sylvain Kassap prend sa clarinette basse, des sons longs prolongés par une voix gutturale identique, instrument comme prolongement de l’homme et vice versa, ils font ainsi corps et esprit en un seul.
Difficile de décrire l’extrême richesse du jeu de Sylvain, savoir qu’elle émeut, le jazz et sa révolte toujours au cœur de l’impro, c’est certain, Coltrane en ombre portée, la Semaine sanglante, la Commune… Le swing se déplace comme un doux félin, un blues désarticulé et recomposé, à mille facettes Un moment de grâce. Quelques susurrements en slaps, conversation intime et toujours du swing au-dedans.
Il termine avec le chalumeau, l’ancêtre de la clarinette, peut-être pour s’approcher de la racine du jazz, attraper les grands compositeurs, les célébrer, ici Mopti de Don Cherry, Charlie Haden… et s’engager ainsi à la recherche d’une réalité quand bien même elle passerait par les rêves.

17 h – Foyer communal
Christophe Marguet 4TET
Christophe Marguet (batterie)
Manu Codjia (guitare)
Hélène Labarrière (contrebasse)
Régis Huby (violon)
C’est l’aube, L’immensité, avec les quatre instruments qui élèvent peu à peu leur couleur, des nappes de brume s’étalent lentement conduites par la guitare alanguie de Manu Codjia. Violon, contrebasse et batterie tissent précautionneusement le canevas. Au changement brusque de tempo, le violon s’impose, virulent. La guitare de Manu Codjia et le violon ténor de Régis Huby aux sons très amplifiés à l’avant, alors que la batterie de Christophe Marguet et la contrebasse d’Hélène Labarrière poussent l’édifice.
Solo pat methenien de Manu, une dentelle agile, Hélène au doigté enrobant prend la suite, ponctuée par les accords lumineux du guitariste. Ce chorus a quelque chose d’une dramatisation et ses Vibrations.
En hommage à Steve Swallow, la contrebasse swingue, chaloupée, entraînant la batterie et le violon murmurant puis plus vindicatif, mais tous dans une sorte d’inquiétude. Un tempo sur un fil sûr et fragile à la fois, autrement dit en équilibre instable.
Les morceaux sont très écrits et mesurés.
Des Rupture(s), il y en a, entrecoupées de coups de tonnerre en choeur, et puis les notes s’étirent, puis s’évanouissent, la batterie de Christophe Marguet faisant le lien avec ses balais distributeurs. Une nouvelle séparation, chaque instrument bruit, tremble, s’émancipe, circonlocutions, aux fréquences brouillées, instables, cacophonie bien menée. De ce chaos apparent, la batterie dégage de l’énergie, les balais à la nervosité contenue prévus pour la douceur tambourinent. Dérèglement des sens. Arrêt. Régis Huby d’un doigt donne le pouls de la suite, la batterie prend le relais, laissant un chorus chantant à la guitare : les incrustations ciselées de Manu Codjia sont aussi des irisations. Le violon martèle le tempo.
Tango est une mélodie à se déplacer dans l’éther. Engagée par une guitare toujours merveilleusement intranquille, la contrebasse d’Hélène Labarrière et le violon de Régis Huby la transforment en volutes indisciplinées. Les deux archets se mettent à rebondir, au rythme d’une batterie martiale, violons et guitare se rejoignent, aux mesures égales. C’est la contrebasse qui tient la mesure, les notes sont sillonnées puis aspirées, ça groove en même temps, une Magic box, une occasion pour Manu Codjia de lancer des éclats, les cordes sont grattées jusqu’à plus soif côté violon, une spasmophilie.
Peut-être qu’Entre les jours, il y a la fascination pour la pénombre ou la musique, lieu intermédiaire où les sensations prennent forme. Ecoutez Hélène pour entrer dans cette faille oblique, quand les notes, les sons deviennent des perceptions, écoutez le son résonner en vous, ressentez les ondes charnues ou bien évanescentes, jamais pauvres…
Le morceau entre progressivement dans une dynamique presque destructrice, au moins déterminée, éclatant au grand jour alors, marquée par un violon obstiné.
Et pourtant, retour vers une nuit, là où peut-être tout s’éclaire.
Longues répétitions d’accords appuyés, tous les musiciens en tension jusqu’aux salves des baguettes de Christophe Marguet afin que s’affirme un chorus solennel au violon. La batterie, elle, roule, un coup de cymbales vif donne le signal à l’apaisement, les instruments s’effilochent, se perdent au loin, résonnent lentement, un crépuscule rouge en déliquescence.
Jazz(s) à Trois-Palis révèle l’authentique, et nous fait partager grâce aux musiciens choisis par Bruno Tocanne et à l’équipe une vraie sincérité et de la générosité. Nous en avons besoin par ces temps où l’on risque le repli sur soi.
Pourvu que cela puisse durer !
Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (tamkka)
Galerie photos






























